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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/325

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lité, l’immensité du péril, on lui fit bien voir, par un accueil glacial, qu’il n’était qu’un importun.

Or, en même temps qu’elle révélait, en face de la guerre civile commençante, ce trouble presque délirant de la pensée et cette incapacité d’action, la Gironde s’égarait en manœuvres haineuses et funestes devant la trahison maintenant flagrante de Dumouriez. À peine la Convention toute entière, de l’extrémité de la droite au sommet de la Montagne, avait-elle affirmé sa foi dans le patriotisme révolutionnaire de Dumouriez, qu’elle recevait de celui-ci, le 14 mars, la lettre la plus inquiétante.

De retour en Belgique, et exaspéré par l’échec de son expédition en Hollande, il se posait en juge de la Révolution. Il assurait que l’anarchie des services administratifs, l’influence croissante des partis violents, l’application inconsidérée à la Belgique du décret du 15 décembre avaient tout ensemble désorganisé l’armée et exaspéré le peuple belge. Il annonçait que, d’autorité, sans tenir compte des volontés de la Convention et de ses commissaires, il allait en Belgique changer le système politique, ménager les croyances et les intérêts follement violentés. C’était la première sommation d’un général factieux. Le président Bréard jugea la lettre si grave qu’il la transmit au comité de défense générale sans la lire à la Convention. Le Comité décida de la tenir secrète, jusqu’à ce qu’une démarche ait été faite auprès de Dumouriez et qu’il ait été mis en demeure de s’expliquer.

Danton et les Girondins avaient, à ce moment, un égal intérêt à contenir Dumouriez, à le ramener, à prévenir tout éclat et tout scandale. Les Girondins venaient de le revendiquer comme étant à eux et rien qu’à eux. Danton l’avait soutenu, encouragé : il avait cru en lui, s’était compromis avec lui. Les Girondins comprirent que lui seul était de taille à agir sur Dumouriez, et c’est sans doute à ce moment-là que quelques-uns parurent se rapprocher de lui, adopter à son égard un langage plus conciliant. C’est probablement aux conversations de ces jours-là que songe Danton, lorsqu’il dit à la Convention, le 1er avril, pour protester contre la soudaine et criminelle agression de la Gironde : « Quand, tout en semblant me caresser, vous me couvrez de calomnies, quand beaucoup d’hommes, qui me rendent justice individuellement, me présentent à la France entière, dans leur correspondance, comme voulant ruiner la liberté de notre pays… »

Danton partit pour la Belgique. Il restait une suprême espérance : c’est que Dumouriez, dans la bataille décisive qui se préparait entre lui et les alliés, remportât la victoire. Peut-être, consolé dans son orgueil militaire, protégé par cette victoire nouvelle contre les sévérités prévues de la Convention, reviendrait-il à l’obéissance. Ou je le persuaderai, avait dit Danton, ou je le ramènerai.

Mais Dumouriez fut vaincu le 18 mars à Nerwinde : après des assauts répétés, dont Dumouriez conduisit en personne le quatrième, l’armée française