Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/336

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prétend que Danton ne s’est montré que le 27, il se trompe au moins d’un jour, car dès le 26, il était présent à la séance de l’après-midi du Comité de défense générale (qui s’appelait assez souvent, depuis le renouvellement du Comité de salut public). Il paraît donc certain qu’il arriva à Paris le 25 au soir. Il n’avait aucun intérêt à dissimuler, et à tricher d’un jour, puisque le 25, le Comité de défense renouvelé ne faisait que se constituer. Ce qui est vrai, c’est que, même le 26, il évite de s’engager à fond contre Dumouriez, et d’annoncer la trahison comme certaine. Il l’ignorait encore. Même s’il avait reçu, à ce moment de la journée du 26, la lettre que Delacroix lui écrivait le 25, elle n’était pas décisive encore : « Dumouriez fait précisément tout ce qu’il faut pour accréditer les soupçons que sa conduite et sa légèreté ont fait naître. On assure qu’avant la retraite de l’armée, il est venu à Bruxelles et que, pendant la nuit, il y a eu une conférence avec les représentants provisoires de cette ville. »

C’est seulement dans la séance du 28 mars que le Comité de défense générale reçut communication de la lettre de Dumouriez, si agressive que le Comité se décida à déchirer le voile et à mander Dumouriez à sa barre. Mais dans les premiers jours de son retour à Paris, Danton attendait encore les événements. À la Convention, le 27, il éclate en paroles révolutionnaires, mais il ne fait qu’une allusion rapide aux événements de Belgique. Il se borne à préparer sa défense contre une première attaque, indirecte encore et voilée, de la Gironde. On dirait qu’il cherche un abri dans le cœur ardent de la Révolution.

Ducos demande que le ministre de la guerre fasse connaître toutes les promotions faites par lui. Et il rappelle le décret qui interdit aux représentants d’intervenir par des sollicitations pour la distribution des emplois. C’était viser Danton, qui souvent depuis le 10 août avait dicté les choix du ministère de la guerre. Et si maintenant l’armée, mal dirigée ou peut-être trahie, subissait des désastres, la faute n’en serait-elle point aux présomptueux qui avaient prétendu lui donner des chefs ? C’était une première mine sourde et profonde, l’annonce de l’assaut.

« Je déclare, s’écria Danton de sa place, avoir recommandé aux ministres d’excellents patriotes, d’excellents révolutionnaires. Et il n’y a aucune loi qui puisse ôter à un représentant du peuple sa pensée. La loi ancienne qu’on veut rappeler était absurde, elle a été révoquée par la Révolution. »

Et s’animant soudain, il bondit à la tribune et rappelle la Convention à l’énergie, au combat, à l’action véhémente et indomptable. D’avance il la mettait debout contre les funestes surprises du lendemain.

« Je dois vous dire la vérité, je vous la dirai sans mélange ; que m’importent toutes les chimères qu’on veut répandre contre moi, pourvu que je puisse servir la patrie ! Oui, citoyens, vous ne faites pas votre devoir ; vous dites que le peuple est égaré, mais pourquoi vous éloignez-vous de ce peuple ?