Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/339

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(Roland) qui, par des réticences, a voulu jeter des soupçons contre moi.

« J’ai fait quelques instants le sacrifice de ma réputation pour mieux payer mon propre contingent à la République, en ne m’occupant que de la servir. Mais j’appelle aujourd’hui sur moi toutes les explications, tous les genres d’accusation, car je suis résolu à tout dire.

« Ainsi préparez-vous à être aussi francs que moi, soyez Français jusque dans vos haines et francs dans vos passions ; car je les attends. »

C’est un débat sur toute sa vie que Danton appelle, et déjà, dans ses paroles, passent les visions tragiques, mais corrigées par des traits d’ironique et superbe confiance :

« Citoyens, nous n’avons pas un instant à perdre. L’Europe entière presse fortement la conjuration. Vous voyez que ceux-là même qui ont prêché le plus persévéramment la nécessité du recrutement qui s’opère enfin pour le salut de la République, que ceux qui ont demandé le tribunal révolutionnaire, que ceux qui ont provoqué l’envoi de commissaires dans les départements pour y souffler l’esprit public, sont présentés presque comme des conspirateurs. On se plaint de misérables détails. Et des corps administratifs ont demandé ma tête !Ma tête ! Elle est encore là, elle y restera. Que chacun emploie celle qu’il a reçue de la nature, non pour servir de petites passions, mais pour servir la République ! »

Les Montagnards sentaient approcher le choc. Ils voyaient la manœuvre de la Gironde, cherchant à envelopper Danton dans la honte de Dumouriez. Et ils soutenaient de leurs acclamations le grand révolutionnaire, comme pour communiquer à cet homme, dont la force individuelle n’avait pas encore fléchi, la force impersonnelle et immense de la Révolution. Lasource répondit qu’avant que Danton s’expliquât, il fallait attendre que Dumouriez parût à la barre. La Convention acquiesça. C’était d’une perfidie savante. Dumouriez ne tarderait pas à être transformé en accusé, et ceux qu’on impliquait comme lui, à côté de lui, Danton surtout, seraient dans l’ombre de sa trahison. C’était la lutte à mort. Il n’y avait plus qu’à l’accepter toute entière. Le lion blessé mesurait à la profondeur de sa blessure la puissance du destin, mais il sentait encore dans sa poitrine la force supérieure et la victoire de son cœur.

Danton alla aux Jacobins le soir du 31 mars, pour y lancer sa déclaration de guerre à la Gironde, surtout pour renouer le lien entre la grande force régulatrice de la Révolution et lui. Il se dit responsable devant eux, leur expliqua tous ses rapports avec Dumouriez, et il ajouta, allant plus loin que Robespierre :

« Pas de dissolution de la Convention, mais que les sociétés populaires disent au peuple : « On ne peut représenter la nation française que lorsqu’on a eu le courage de dire : Il faut tuer un roi. » Ici nous ne voulons rien qu’en vertu de la raison et de la loi. Si les départements nous secondent, si les adresses arrivent de toutes parts, nous nous serrerons dans la Convention,