Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/338

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« Je ne vous citerai qu’un fait, et après je vous prie de l’oublier. Roland écrivait à Dumouriez (et c’est ce général qui a montré la lettre à Delacroix et à moi) : « Il faut vous liguer avec nous pour écraser ce parti de Paris, et « surtout ce Danton (Vifs murmures). » Jugez si une imagination frappée au point de tracer de pareils tableaux a dû avoir une grande influence sur la République. Mais tirons le rideau sur le passé, il faut nous réunir… Citoyens, communiquons-nous nos lumières, ne nous haïssons pas. »

Le coup était porté et l’avertissement était net. Danton signifiait à la Gironde : Ne m’attaquez pas, ou je saurai me défendre. Mais c’est l’union qu’il eût voulue. Il se sentait atteint cependant, et déjà diminué malgré son audace. Il était réduit à prendre des précautions et à ruser, à lancer un trait empoisonné au moment où il faisait appel à la concorde et à l’oubli. Et sa parole, parfois boursouflée d’énergie excessive, était ce jour-là plus emphatique que de coutume. On y sent l’effort vers la grandeur.

« Marseille s’est déclarée la Montagne de la République. Elle se gonflera, cette montagne, elle roulera les rochers de la liberté, et les ennemis de la liberté seront écrasés. »

Si je note ces images sans avoir la garantie d’un texte authentique, c’est qu’elles ne sont pas seulement au Moniteur, elles sont citées, le lendemain même, par le Patriote français. Il y a dans cette déclamation un peu de fatigue et d’embarras.

Et le 30 mars, Danton, se sentant enveloppé de soupçons et de menaces, reprend l’offensive. Maintenant la trahison de Dumouriez est à peu près certaine. Maintenant, on sait par Proly, Dubuisson et Pereira les propos factieux qu’il a tenus. La crise approche et Danton va au-devant des accusateurs.

« Je prends à cette tribune l’engagement de tout dire, de répondre à tout… Je demande que la séance de demain soit consacrée à un débat particulier ; car il y aura beaucoup de personnes à entendre, beaucoup de chefs à interroger… On saura, par exemple, que si nous avions donné à cette fameuse lettre (celle du 12 mars), qui a été lue partout excepté dans cette enceinte, les suites que nous aurions pu lui donner, dès qu’elle nous a été connue, si nous n’avions pas, dans cette circonstance, mis dans notre conduite toute la prudence que nous dictaient les événements, l’armée, dénuée de chefs, se serait repliée sur nos frontières avec un tel désordre que l’ennemi serait entré avec elle dans nos places fortes. Je ne demande ni grâce ni indulgence. J’ai fait mon devoir dans un moment de nouvelle révolution, comme je l’ai fait au Dix-Août. Et à cet égard, comme je viens d’entendre des hommes qui, sans doute, sans connaître les faits, mettant en avant des opinions dictées par la prévention, me disent que je rende mes comptes, je déclare que j’ai rendu les miens, que je suis prêt à les rendre encore. Je demande que le Conseil exécutif soit consulté sur toutes les parties de ma conduite ministérielle. Qu’on me mette en opposition avec ce ci-devant ministre