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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/343

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lui, c’est avec le peuple qu’il avait combattu. Dumouriez prétendait venger la mort du roi, et lui il avait fait tomber la tête du roi. Ah ! que les Montagnards avaient eu raison de lui dire qu’avec la Gironde la conciliation n’était pas possible. « Oui, citoyens, c’est moi qui me trompais. J’ai trop longtemps ajourné la bataille. Mais maintenant c’est la guerre, la guerre implacable contre les lâches qui n’ont pas osé frapper le tyran. » Et, pendant deux heures, sa parole se répandit comme la lave. La Montagne, à cette explosion longtemps contenue de ses espérances et de ses colères, était comme soulevée d’une force volcanique : Danton en était devenu le cratère. Toutes les émotions bouillonnaient à la fois dans les âmes des Montagnards. Ils aimaient Danton pour sa générosité, pour son audace, et ils saluaient sa victoire sur ceux qui avaient espéré l’accabler. Ils se sentaient solidaires de lui, de ses fautes généreuses, de ses nobles imprudences, et à mesure qu’il se justifiait, ils se sentaient eux-mêmes justifiés devant l’histoire. Ils étaient excédés par les calomnies des girondins, épouvantés de tout le mal que leur inertie bavarde faisait à la Révolution et à la patrie ; et ils souffraient depuis longtemps déjà de la tactique de ménagements gardée par Danton. Et le voici qui, enfin, lui-même, était à bout. Le voici qui criait sa colère, et qui soulageait de leur longue attente toutes ces âmes passionnées. Il les flattait aussi, en leur apportant les sublimes excuses d’un grand génie révolutionnaire trop longtemps attardé à la clémence. Tous les cœurs battaient, et ce n’étaient plus des applaudissements, c’étaient des acclamations de combat et de victoire qui répondaient à toutes les paroles de Danton, à tous ses gestes montrant l’ennemi.

Marat, comme transporté, répétait en écho les paroles de Danton. Écoutez, criait Danton. Écoutez, redisait Marat. Ce fut bien, un moment, la fusion de tous ces cœurs ardents, une magnifique coulée de passions confondues. Et l’on aurait pu reprendre la grande image : « L’airain bout dans la fournaise ». La Gironde allait en être brûlée.

Comme on l’a vu, Levasseur avait, après trente-six ans, et quand ces souvenirs lointains semblaient n’être plus que de la cendre, gardé l’impression toute chaude de ce jour :

« Pour juger tout l’effet que produisit sur nous cette éloquente improvisation, il faut se rappeler que Danton avait jusqu’alors cherché à amener une réconciliation entre les deux côtés de l’assemblée. Il faut se rappeler que, bien qu’assis au sommet de la Montagne, il était en quelque sorte le chef du Marais. Il faut se rappeler, enfin, qu’il avait souvent blâmé notre fougue, combattu les défiances de Robespierre, et soutenu qu’au lieu de guerroyer contre les Girondins, il fallait les contraindre à nous seconder pour sauver de concert la chose publique.

« Peu de jours même avant la malencontreuse levée de boucliers de Lasource et l’accablante réplique que je viens de rapporter, Danton avait eu