Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/348

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varier à l’infini, et ils ne sont bons que pour les méditer. Il faudrait écrire à l’empereur, au roi de Prusse et d’Angleterre, ils ont été parfaits pour vous, surtout le roi de Prusse. Il faudrait écrire aussi à l’impératrice ; mais une lettre simple et digne, car je ne suis pas content de sa conduite ; elle n’a jamais répondu à votre lettre. »

Est-il besoin de marquer ce qu’il y a de pitoyable et de tragique dans les précautions que prend Fersen en vue du rétablissement presque immédiat de la monarchie, contre l’influence excessive et contre les prétentions des émigrés, du comte d’Artois et de Dumouriez ? Je sais bien que Fersen ne tardera pas à perdre ses illusions et qu’il constate quelques semaines après « le peu d’utilité de la trahison de Dumouriez ». Mais les ennemis de la Révolution avaient cru un moment qu’elle était à leur merci. De Stockholm, le duc de Sudermann écrit à Fersen, le 16 avril :

« Il est donc arrivé ce moment que le délire et les succès tragiques et sanguinaires de la France vont cesser, qu’elle sera enfin soumise à ses légitimes maîtres, et que la malheureuse famille de Bourbon, notre ancienne et véritable amie, entrera dans ses anciens droits ; qu’enfin rétabli sur le trône de son père, on verra Louis XVII, guidé par une mère tendre et respectable, recevoir en même temps l’hommage d’un peuple coupable, mais trompé, et punir d’une main terrible les meurtriers de son père, ramener la tranquillité en Europe et la royauté outragée, en écrasant cette secte impie dont les principes exécrables menaçaient d’infecter le monde d’un barbarisme universel. »

Et malgré la déception qui suivit l’échec de la tentative de Dumouriez, abandonné par son armée, la coalition pensait bien que la Révolution était à bout. Le baron de Stedinck écrit de Saint-Pétersbourg, le 26 avril :

« Le plan de mettre le comte d’Artois à la tête des mécontents de Bretagne est convenu entre l’Espagne, l’Angleterre et la Russie. » Dampierre essayant d’arrêter l’invasion sur la frontière de Belgique était refoulé, et, le 9 mai, frappé à mort ; les places fortes du nord étaient menacées d’investissement.

Contre tous ces dangers, contre toutes ces menaces il fallait une force impétueuse, directe, sans hésitation ni complication, et la Gironde, par son esprit critique, dénigrant et négatif, par ses préoccupations de coterie et ses jalousies de sectes était pour la Révolution un poids mort dont elle devait se débarrasser.

Mais cette élimination ne pouvait se faire par les voies pacifiques et légales. Il était impossible d’espérer que la Convention retirerait leur mandat aux Girondins les plus compromis, ou même qu’elle anéantirait complètement leur influence dans les Comités et les réduirait, selon le plan de Robespierre, à la nullité politique. La Gironde avait la majorité à la Convention. En mars, avril et mai, elle s’applique à affirmer sa force numérique et sa volonté de ne pas abdiquer par le choix de présidents à elle : le 7 mars. Gen-