à se recueillir avant qu’il prononce, et qui enferme, pour ainsi dire, dans la même urne et son opinion et le témoignage de sa conscience ?
« En un mot, je vous demanderai où sont toutes ces précautions religieuses que la loi a prises pour que le citoyen même coupable ne fût jamais frappé que par elle ?
« Citoyens, je vous parlerai ici avec la franchise d’un homme libre ; je cherche parmi vous des juges et je n’y trouve que des accusateurs.
« Vous voulez prononcer sur le sort de Louis, et c’est vous-mêmes qui l’accusez ! Vous voulez prononcer sur le sort de Louis, et vous avez déjà émis votre vœu ! Vous voulez prononcer sur le sort de Louis, et vos opinions parcourent toute l’Europe !
« Louis sera donc le seul Français pour lequel il n’existera aucune loi ni aucune forme.
« Il n’aura ni les droits du citoyen, ni les prérogatives du roi.
« Il ne jouira ni de son ancienne condition ni de la nouvelle.
« Quelle étrange et inconcevable destinée ! »
C’était un sophisme ; car Louis XVI n’était en effet à ce moment ni un roi ni un citoyen : il était un souverain précipité du trône et répondant de ses crimes devant la nation. La forme du procès était donc appropriée à la « destinée » du roi : le procès de Louis XVI était révolutionnaire comme son destin. Mais plus d’un Conventionnel s’interrogeait parfois avec inquiétude ; et le contraste entre l’appareil des formes judiciaires et le fond tout révolutionnaire du procès troublait les consciences incertaines. Ce qui prouve que l’argument portait, c’est que Marat est obligé soudain, par le plaidoyer de Desèze, de renoncer à cette apparence de légalité dont il voulait envelopper le procès pour persuader les timides.
« Louis ne peut, selon son défenseur, être jugé comme ex-monarque ; mais à supposer qu’il le puisse, il réclame en sa faveur les droits de tout citoyen : inconséquence absurde puisque le tyran ne doit être considéré que comme ennemi public pris les armes à la main. » Oui, mais que signifie alors l’appareil judiciaire et donne-t-on un avocat à un ennemi public pris les armes à la main ? C’est revenir au premier système de Robespierre et de Saint-Just, que d’abord Marat désavoua.
Je crois aussi que les dernières paroles de Desèze évoquant ce qu’on peut appeler les années libérales de Louis XVI, le souvenir de sa collaboration avec Turgot, émurent la Convention. Elle put se demander si ces paroles n’auraient point d’écho dans le peuple. Trois ans de Révolution avaient creusé un formidable abîme dans la conscience populaire : ces années étaient des siècles, et l’époque toute récente pourtant, où Louis XVI était considéré par tous comme un ami de son peuple, comme un réformateur et un libérateur, reculait dans un lointain infini. Qui sait si la pitié, émue par le plaidoyer de Desèze, n’allait pas un moment combler cet abîme, rapprocher des souve-