Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/36

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nirs qui semblaient perdus en un passé inaccessible et rendre, en quelque sorte, son rythme normal à la marche du temps ? « Français, la Révolution qui vous régénère, a développé en vous de grandes vertus : mais craignez qu’elle n’ait affaibli dans vos âmes le sentiment de l’humanité, sans lequel il ne peut y en avoir que de fausses.

« Entendez d’avance l’histoire qui redira à la renommée : Louis était monté sur le trône à vingt ans : il donna sur le trône l’exemple des mœurs ; il n’y porta aucune faiblesse coupable ni aucune passion corruptrice : il y fut économe, juste, sévère, il s’y montra toujours l’ami constant du peuple. Le peuple désirait la destruction d’un impôt onéreux qui pesait sur lui, il le détruisit. Le peuple désirait l’abolition de la servitude, il commença par l’abolir lui-même dans ses domaines. Le peuple sollicitait des réformes dans la législation criminelle, pour l’adoucissement du sort des accusés : il fit ces réformes. Le peuple voulut que des milliers de Français, que la rigueur de nos usages avait privés jusqu’alors des droits qui appartiennent aux citoyens, acquièrent ces droits ou les recouvrent : il les en fit jouir par ses lois. Le peuple voulait la liberté, il la lui donna. Il vint même au devant de lui pour ces sacrifices, et cependant, c’est au nom de ce même peuple qu’on demande aujourd’hui… Citoyens, je n’achève pas… Je m’arrête devant l’histoire ; songez qu’elle jugera votre jugement et que le sien sera celui des siècles. »

Desèze a vraiment plaidé l’acquittement. Il a évité avec soin tout ce qui pouvait heurter les idées ou les passions de la Convention. Pas un moment il ne s’est dressé en accusateur ; pas un moment il n’a opposé à la Révolution elle-même ses incertitudes et ses déchirements ; il n’essaie pas de tirer parti des haines secrètes des factions rivales ; il essaie, au contraire, d’endormir toute violence et toute haine. J’observe qu’il n’a même pas effleuré la question de l’appel au peuple. Il n’a pas dit à la Convention que si elle voulait juger révolutionnairement le roi, il n’y avait qu’un juge révolutionnaire, la nation elle-même. Je ne sais comment, dans son célèbre discours du 4 janvier 1793, Barère a pu dire :

« Le recours au peuple, qui était l’arme de l’accusé, est devenu l’arme de plusieurs juges. »

En tout cas, si les royalistes désiraient et demandaient l’appel au peuple, ce n’est pas l’accusé lui-même qui le demandait : cela était hors du système de défense de Desèze. Au contraire, Dubois-Crancé, dans son discours du 31 décembre, a interprété un passage de la plaidoirie comme un désaveu de l’appel au peuple :

« En morale, dit-il, cet appel au peuple est si absurde que Louis Capet lui-même, que nous devions croire intéressé à le réclamer, l’a positivement refusé. Voici les expressions dont il s’est servi par l’organe de Desèze, son défenseur officieux, c’est lui qui parle :