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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/376

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C’est que « ces clériaux musqués et attifés sont pour la plupart des émigrés ; ces bougres-là sont lassés du carême de Coblentz, et ils aiment mieux rentrer en France ». Et c’est cette tourbe mêlée de gentilshommes, de financiers et de robins, de nobles déguisés et de bourgeois égoïstes, qui essaie de s’emparer des sections, de dominer Paris, pour livrer la France « au petit que la louve autrichienne prétend être de la fabrique de Louis le raccourci ». Mais voici que Paris se réveille. Voici que les sans-culottes aux poings solides se portent de nouveau vers les sections infestées d’aristocrates et balaient toute cette engeance. Voici que la Révolution redevient maîtresse de Paris. Que Paris agisse donc, qu’il désarme la défiance des départements et qu’il assume, au nom de la France, l’initiative souveraine des mesures décisives :

« Sans-culottes des départements, clame en son numéro 238 le Père Duchesne, haussé soudain au style noble et tirant de sa pipe de plus larges bouffées, voilà ce que nous voyons et ce que vous devez connaître. Le temple de la liberté est à Paris ; c’est nous, foutre, qui en avons posé la première pierre. Vous nous en avez confié la garde ; si nous ne le défendions pas, vous auriez raison de nous accuser. Quand l’ivrogne Capet le minait petit à petit, nous ne cessions d’arracher de ses mains la hache avec laquelle il en brisait les colonnes. Alors, comme aujourd’hui, on nous calomniait auprès de vous, on vous disait que Capet était le grand prêtre de ce temple, que nous outragions, que nous avilissions la divinité elle-même. Pour réparer l’édifice, vous nous avez envoyé des ouvriers, mais malheureusement vous avez mal choisi. » Paris qui les surveille et les voit de près, va donc chasser ces mauvais ouvriers.

Et que les patriotes ne craignent pas d’être désavoués par les départements. Ah ! s’ils ne font qu’un effort médiocre, s’ils ne réussissent pas, ils seront flétris et menacés. Mais le Père Duchesne sait que la bienfaisante dictature révolutionnaire de Paris sera absoute par son succès même, et en son no 239 il encourage les Parisiens à l’action décisive : « Soyez victorieux et tous les départements vous approuveront, vous suivront ; battez le fer tant qu’il est chaud. »

Or sur toutes ces forces qui se heurtaient et s’enflammaient dans les sections, la Vendée versait presque tous les jours des nouvelles irritantes ou affolantes. Ce qui domine dans les premiers mois de la guerre de l’Ouest, c’est la stupeur des patriotes, des révolutionnaires. Ils ne comprennent ni les mobiles du soulèvement ni la tactique des révoltés. Et ils attribuent à la trahison des généraux les échecs qui résultent du défaut de préparation et d’adaptation. Quoi ! les patriotes qui ont vaincu les vieilles armées de Frédéric et les troupes impériales à Valmy et à Jemmapes, qui n’ont été vaincus en Belgique que par la félonie de leur chef, ces hommes sont vaincus par des paysans grossiers ! Quoi ! les misérables stratagèmes des prêtres, qui promettent à ces paysans imbéciles l’immunité devant les balles ou la résurrection,