Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/381

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ne se croit pas en force, et qu’au milieu d’une énorme population, entourée d’écueils et de dangers, elle n’a ni assez d’habiles politiques, ni des observateurs assez adroits pour oser tenter la moindre entreprise.

« Plusieurs sections ont éprouvé des dissensions, et il paraît que partout les aboyeurs ont été battus ; Saint-Jacques est l’une des sections que je dois joindre à celles dont je vous ai parlé ce matin.

« Mais je crains surtout pour le moment où le recrutement sera terminé, pour le moment où chaque marchand, chaque propriétaire, chaque manufacturier sera rentré dans sa boutique, dans sa maison, dans son atelier, avec ses commis et employés. »

C’était bien en effet la question du recrutement qui faisait affluer aux sections toutes les forces modérées, bourgeoises et boutiquières de Paris.

Dans un rapport du 6 mai :

« Ce matin on m’a appris que la section Mauconseil en est venue aux mains hier soir : celle de Saint-Eustache a brisé les chaises et s’est retirée sans rien délibérer. »

Le 7 mai :

« Hier soir j’allai faire un tour aux Champs-Élysées, aux Tuileries, et je trouvai partout le peuple assez tranquille. Je lis une remarque essentielle et qui me fit plaisir : c’est que je trouvai sur les promenades moins de modérés qu’à l’ordinaire. Plus le danger approche, et plus ils sentent le besoin de se réunir. Dieu veuille que ce sentiment qui, en dépit de la faction, a fait des progrès assez rapides, puisse en faire de plus en plus et de tels que la classe propriétaire ne fasse plus qu’un.

« … J’allai à ma section et j’y trouvai une assemblée nombreuse ; je fus témoin d’une discussion sur un arrêté de la section Poissonnière qui portait deux dispositions principales ; l’une avait pour objet de demander l’élargissement des jeunes gens arrêtés aux Champs-Élysées, et par l’autre disposition la section disposait que Santerre avait perdu sa confiance. L’assemblée a passé à l’ordre du jour sur cette dernière proposition mais il s’est engagé une vive discussion sur la première. Et ce qui est remarquable, c’est que presque tous les opinants étaient d’avis de demander la liberté des révoltés, et l’Assemblée a encore passé à l’ordre du jour ; une première épreuve n’ayant rien produit, on a choisi deux censeurs dans la Montagne pour juger la seconde ; et ils ont eu l’impudence, malgré que le parti des modérés surpassât l’autre de plus de 40 membres, de décider le ballottage pour les Enragés ; c’était un confrère d’Hébert qui présidait : on m’a dit qu’il s’appelle Guiraut.

« Dans l’assemblée et à la sortie, j’ai remarqué la plus grande satisfaction parmi les modérés ; tous, en sortant, s’invitaient réciproquement à être assidus. Ils sentent bien que tant qu’ils seront à la section on ne les égorgera pas. »

Dutard croit respirer une sorte de printemps du modérantisme :

« Hier soir, écrit-il le 10 mai, je vais me placer au milieu de l’aile droite