Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/446

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les commissaires au respect des propriétés. À Aix, un ouvrier employé à la réparation des chemins leur a tenu le même langage. Barbaroux conclut au rappel des commissaires et à la suspension de leur arrêté.

« Guadet a caractérisé, avec une ironie déchirante, l’espèce de contre-révolution dont les commissaires accusent Marseille. C’est la contre-révolution de l’égalité contre le despotisme de quelques brigands, des lois contre la violence arbitraire, de l’ordre contre l’anarchie. « Oh ! l’heureuse contre-révolution s’est écrié Guadet, c’est la même qui en 1789 fit sortir la philosophie et les lumières des ténèbres et de la barbarie où le despotisme les avait plongées ; c’est la même qui a fait triompher la liberté des efforts de la tyrannie. » Guadet a appuyé les conclusions de Barbaroux. »

Quel triste aveuglement ! ou plutôt, puisque la Gironde se proposait surtout d’accabler le parti de la Montagne, quelle triste nécessité ! Elle acceptait de couvrir de beaux mots républicains un mouvement profond de réaction royaliste et de contre-révolution. Sans doute elle réussissait à se tromper elle-même. Elle ne voulait pas s’avouer que ses alliés étaient des ennemis de la République et de la Révolution. Le réveil sera terrible quand la Gironde sera obligée de se prononcer pour le royalisme brusquement déclaré, ou de reconnaître qu’elle avait encouragé à son insu la contre-révolution.

Chose frappante ! Le souci qu’ont les Girondins de se réclamer du peuple pauvre, de montrer, que dans le mouvement marseillais, les ouvriers, menuisiers, casseurs de pierre, sont au premier rang, répond à la tactique de la contre-révolution vendéenne qui, elle aussi, prétendait être d’origine populaire. Et par quelle étrange et coupable complaisance ces « hommes d’ordre » font ici l’apologie d’un tribunal populaire marseillais qui était l’instrument tout préparé des violences sanglantes contre les premiers et plus fervents amis de la Révolution ! Il est vrai que le Patriote français manifeste en ce point un peu d’embarras :

« Marseille, rendue à la liberté et à l’ordre, doit renoncer à ce tribunal, elle ne doit pas emprunter à l’anarchie ses moyens odieux ; elle ne doit reconnaître de tribunaux que ceux que la loi avoue. Marseillais, la loi, la loi, c’est là, le but de nos efforts, c’est là notre point de ralliement. »

Ici, une secrète inquiétude se fait jour tout de même. Ducos, dans la Chronique de Paris du 15 mars, élude les difficultés par de vagues déclarations conciliantes. Il dit, résumant et commentant la lettre des commissaires :

« Tout à coup les sections ont exercé la souveraineté ; elles ont créé un tribunal populaire, et, chose étrange, les autorités constituées ne se sont pas opposées à ces actes de fédéralisme.

« Mais si les autorités constituées et les citoyens sont ainsi d’accord, quel que soit l’objet de leur union, son effet nécessaire du moins est le maintien de l’ordre ; comment se fait-il donc que l’ordre soit troublé ?

« Les commissaires expliqueront cette apparente contradiction…