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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/45

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plus odieuse qu’il parvenait à en dérober la preuve matérielle. C’est ce mensonge continu, profond, que Saint-Just mit admirablement en lumière dans la forte réponse que, dès le lendemain 27 décembre, il fit au discours de Desèze :

« Au moins, Louis, vous n’étiez pas exempt d’être sincère… Je pardonnerais à l’habitude de régner, à l’incertitude, à la terreur des premiers orages, la dissimulation employée pour conserver des droits affreux, chers encore à une âme sans pitié. Mais ensuite, lorsque l’Assemblée nationale eut fait des réformes utiles, lorsqu’elle présenta les Droits de l’Homme à la sanction du roi, quelle défiance injuste ou plutôt quel motif, si ce n’est la soif de régner, si ce n’est l’horreur de la félicité publique, entrava les représentants du peuple ? Celui-là qui disait : « Mon peuple, mes enfants », celui-là qui disait ne respirer que pour le bonheur de la nation, qui disait n’être heureux que de son bonheur, malheureux que de ses maux, celui-là lui refusait ses droits les plus sacrés. » Bonhomie menteuse, bonhomie traîtresse « qui fait de la douceur et de l’apparence de la bonté, un système de tyrannie…

« Il est facile de déguiser l’intelligence imputée à Louis avec l’empereur et le roi de Prusse dans le traité de Pilnitz : la justice n’a point matériellement prise sur la dissimulation des grands crimes… On ne voit pas le crime, mais on en est frappé. »

Le discours de Saint-Just prononcé le lendemain du plaidoyer de Desèze et sous l’impression directe de celui-ci révèle le malaise irrité où il avait jeté la Convention. Tous sentaient que la question était mal posée, et comme rabaissée avec une sorte de candeur cauteleuse où se continuait la tactique de dérision de la monarchie.

Il semblait qu’en cette suprême entrevue de la royauté et de la Révolution un choc violent dût se produire : toutes les consciences et tous les esprits attendaient obscurément une explication décisive d’où l’éclair jaillirait. Et la Révolution était aux prises avec des arguties de procédure, avec des dénégations trop faciles dont le mensonge évident ne pouvait être matériellement démontré. Saint-Just, d’un mouvement de colère, rompait ce filet irritant et médiocre :

« Ce jour va décider de la République : elle est morte, et c’en est fait, si le tyran reste impuni. »

Et c’est au moment où la Convention était énervée et troublée, c’est au moment où les royalistes multipliaient leurs manœuvres et tentaient d’affoler la pitié, c’est quand partout, dans les villes et les campagnes, les brochures, les almanachs, les images propageaient la légende du roi martyr, que la Gironde proposa à la Convention la formidable aventure de l’appel au peuple. Elle demanda que le jugement du roi fût soumis à la ratification des assemblées primaires. Oui, formidable aventure, car d’abord, c’était un aliment prodigieux qui allait être offert à la propagande et à la piété royalistes. Sous