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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/456

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« Comme je n’avais pour le moment ni écriteau, ni crayon, je n’ai pas pu retenir tout ce que j’ai remarqué voici néanmoins quelques traits de ceux qui m’ont le plus frappé.

« J’arrive à 6 heures. Une population considérable remplissait les tribunes. Assis au milieu de l’une des tribunes qui sont aux extrémités les plus éloignées de la salle, je me tourne à droite et à gauche ; partout j’entends des motions. Elles portent toutes sur des inculpations contre les noirs de la Convention, contre les ministres, etc. : Ils ont manigancé la perte de la France ; ils font tout ce qui est contraire au peuple ; il faut que le peuple se lève encore, qu’il fasse comme le 10 août ; pourquoi ne sonne-t-on pas le tocsin, et ne fait-on pas tirer le canon d’alarme ? Robespierre a, l’un des premiers, mis le doigt dessus ; il a dit que lorsque le peuple était dans l’oppression, c’était à lui à se faire justice, et que son ressentiment devait lui dicter sa conduite. Que n’a-t-il achevé le mot ? nous étions tous prêts à courir. Encore aujourd’hui ils ont délibéré pendant quatre heures sur une affaire particulière. Les noirs veulent sauver un contre-révolutionnaire. Le président a été obligé de se couvrir quatre fois. Est-ce ainsi qu’ils consument le temps ? qu’ils entendent manger l’argent de la nation ? L’un de ces scélérats a dit qu’heureusement les troupes de la Vendée (les révoltés) avançaient contre Paris pour le mettre à la raison. Sont-ce là des propos à tenir ? Ils sont donc d’accord avec les révoltés ?

« Un autre, qui était assis à mon côté, dit : « Ils ont beau faire ; le peuple se sauvera lui-même ; hier soir l’affaire était décidée dans un autre endroit (les Cordeliers), et j’ai vu le moment où nous nous levions tous, mais ça n’ira pas loin. Ici on parle de sagesse, de mesures à prendre comme si dans des circonstances aussi menaçantes il y avait d’autres mesures à garder que de nous lever tous ensemble, d’exterminer les ennemis que nous avons parmi nous. » Celui-là était un malheureux mal couvert, la barbe rouge et longue, qui recueillait des notes.

« On vient nous annoncer que Varlet, que l’excès de son civisme a fait expulser des Jacobins, vient de recevoir un soufflet dans la rue, et qu’un garde national lui a dit : « Vous êtes donc bien lâche, lorsque, ayant un sabre à votre côté, vous ne vengez pas à l’instant l’affront qui vient de vous être fait » — Oh ! répond Varlet, je suis bon patriote, et un bon patriote doit savoir supporter une injure. »

« …Thuriot monte à la tribune et dit que les moyens qui sont réservés au peuple de se faire justice sont grands, sont puissants, mais que pour s’en servir utilement, on ne saurait avoir assez de circonspection, de prudence… (À ces mots, toutes les tribunes sont émues d’indignation. « Et Robespierre commence aussi à nous parler de prudence ! Voilà encore du Robespierre !… Quelques voix crient : « Le canon d’alarme !… Nous ne devons pas nous dissimuler les dangers qui nous menacent…) Thuriot continue ainsi, avec