Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/459

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phlet de Camille Desmoulins comme un brûlot. Le 19 mai, la Société approuvait son Histoire des Brissotins ou fragment de l’Histoire secrète de la Révolution. Desmoulins, qui poussait toujours jusqu’au bout ses hypothèses agressives avec la frivolité la plus redoutable, n’hésite pas pour accabler la Gironde, pour la convaincre de conspiration, à réduire à un complot anglais la Révolution elle-même. C’est Pitt qui l’a voulue, c’est Pitt qui l’a conduite. Écoutez, et dites si jamais l’esprit de parti aboutît à un plus étrange reniement de soi-même. Calomnier les plus grands événements, et où soi-même on fut mêlé, pour envelopper de calomnie des adversaires, quelle polémique désespérée !

« D’abord une observation préliminaire indispensable : c’est qu’il y a peu de bonne foi de nous demander des faits démonstratifs de la conspiration. Le seul souvenir qui reste du fameux discours de Brissot et de Gensonné pour démontrer l’existence du comité autrichien, c’est qu’ils soutenaient, avec grande raison, qu’en matière de conspiration il est absurde de demander des faits démonstratifs, et des preuves judiciaires qu’on n’a jamais eues, pas même dans la conjuration de Catilina, les conspirateurs n’ayant pas coutume de se mettre si à découvert. Il suffit d’indices violents. Or je veux établir contre Brissot et Gensonné l’existence d’un comité anglo-prussien par un ensemble d’indices cent fois plus forts que ceux par lesquels, eux, Brissot et Gensonné, prouvaient l’existence du comité autrichien.

« Je mets en fait que le côté droit de la Convention, et principalement les meneurs, sont presque tous partisans de la royauté, complices des trahisons de Dumouriez et de Beurnonville, dirigés par les agents de Pitt, de d’Orléans et de la Prusse, et ayant voulu diviser la France en vingt ou trente républiques fédératives, ou plutôt la bouleverser, pour qu’il n’y eût point de république. Je soutiens qu’il n’y eut jamais dans l’histoire une conspiration mieux prouvée, et par une multitude de présomptions plus violentes, que celle de ce que j’appelle les brissotins, parce que Brissot en était l’âme, contre la République française.

« Pour remonter aux éléments de la conjuration, on ne peut nier aujourd’hui que Pitt, dans la révolution de 1789, n’ait voulu acquitter sur Louis XVI la lettre de change tirée en 1641 par Richelieu sur Charles Ier. On sait la part qu’eut ce cardinal aux troubles du Long Parlement, où il pensionnait les plus zélés républicains, et bien des événements depuis m’ont fait resouvenir de la colère que montra Brissot, il y a trois ans, quand un journaliste aristocrate, ayant déterré le Livre rouge de Richelieu et de Mazarin, y trouva à livres, sous et deniers, les sommes que ces ministres avaient envoyées à Fiennes et Hampden pour leur zèle à demander la république. Ceux qui lisaient le Patriote français peuvent se souvenir avec quelle chaleur Brissot, craignant l’application, se fit le champion du désintéressement des républicains anglais. Pitt avait encore à prendre sa revanche des secours