Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/463

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l’État que de sa personne, dans les sections et les armées ; mais tout citoyen dont la fortune était de dix talents devait fournir à l’État une galère ; deux, s’il avait vingt talents ; trois, s’il en avait trente. Cependant, pour encourager le commerce, eût-on acquis d’immenses richesses, la loi ne pouvait exiger d’un Laborde que trois galères et une chaloupe. En dédommagement les riches jouissaient d’une considération proportionnée dans leur tribu, et étaient élevés aux emplois de la municipalité et comblés d’honneurs ; celui qui se prétendait surtaxé par le département avait le droit d’échanger sa fortune contre celui qui était moins haut en cote d’imposition.

« Là, il y avait une caisse des théâtres et de l’extraordinaire des fêtes, qui servait à payer aux comédiens de la nation les places des citoyens pauvres. C’étaient là leurs écoles primaires qui ne valaient pas nos collèges d’arts et métiers quand la Convention les aura établis.

« Là il n’y avait d’exempt de la guerre que quiconque équipait un cavalier d’armes et d’un cheval et l’entretenait, ce qui délivrait le camp d’une multitude de boutiquiers et de riches bourgeois qui ne pouvaient que lui nuire, et les remplaçait par une excellente cavalerie.

« …Je conviens que nous n’avons pas encore transporté parmi nous toutes ces belles institutions, je conviens que l’état des choses en ce moment n’est pas encore exempt de désordres, de pillage et d’anarchie. Mais pouvait-on balayer un si grand empire qu’il ne se fit un peu de poussière et d’ordures ? La nation a souffert ; mais pouvait-on s’empêcher de l’amaigrir en la guérissant ? Elle a payé tout excessivement cher ; mais c’est sa rançon qu’elle paie, et elle ne sera pas toujours trahie. Déjà nous avons eu le bonheur de remplir le serment le plus cher au cœur d’un citoyen, le serment que faisait le jeune homme à Athènes, dans la chapelle d’Agraules, lorsqu’il avait atteint l’âge de dix-huit ans, « de laisser sa patrie plus florissante et plus heureuse qu’il ne l’avait trouvée ». Nous avions trouvé la France monarchie, nous la laissons république.

« Laissons donc les sots, qui répètent tous les jours ces vieux propos de nos grand’mères, que la République ne convient pas à la France. Les talons rouges et les robes rouges, les courtisans de l’Œil de bœuf et les courtisanes du Palais-Royal, la chicane et le biribi, le maquerelage et la prostitution, les agioteurs, les financiers, les mouchards, les escrocs, les fripons, les infâmes de toutes les conditions, et enfin les prêtres, qui vous donnaient l’absolution de tous les crimes, moyennant la dîme et le casuel : voilà les professions, voilà les hommes à qui il faut la monarchie. Mais, quand même il serait vrai que la république et la démocratie n’auraient jamais pu prendre racine dans un État aussi étendu que la France, le dix-huitième siècle est, par ses lumières, hors de toute comparaison avec les siècles passés, et si un peintre offrait à vos yeux une femme dont la beauté surpassât toutes vos idées, lui objecteriez-vous, disait Platon, qu’il n’en a jamais existé de si parfaite ? Pour moi, je