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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/482

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ce n’est pas seulement dans la partie excitée et exaspérée du peuple que Marat est populaire ; il est entré à fond dans le cœur de la classe ouvrière et artisane, du bon peuple travailleur et généreux, qui veut se dévouer, mais ne veut pas être dupe. Dutard note, dans son rapport à Garat, du 21 mai :

« Comme tout est cher ! (disent les pauvres gens) Qu’on nous laisse donc tranquilles une bonne fois ! On se dispute, on se bat à cette assemblée : à quoi sert tout cela ? Cependant, on nous annonce de bonnes nouvelles, 12 000 hommes des ennemis tués dans la dernière affaire, dites-nous si cela est vrai. Ce monsieur de Custine est-il des bons, nous tromperait-il comme les autres ?

« En parlant de Marat : « Ce pauvre cher homme, il nous a bien prédit tout ce qui nous est arrivé, et encore personne ne peut le souffrir ! Par trois fois depuis quinze jours, il a manqué de perdre la vie ! Sans le secours de patriotes qui l’ont arraché des mains des aristocrates… »

Ainsi la partie du peuple lassée des contentions et des querelles se rallie à Marat, en qui elle démêle un sens de la chose publique plus profond que l’esprit de parti.

« Un fabricant de petits souliers d’enfant, avec qui j’ai conféré souvent, bon ouvrier, grand travailleur, bon père, bon époux, honnête homme en un mot, mais aussi grand électeur, grand raisonneur et surtout bonne voix, me dit d’un air de pitié : « La section des Tuileries nous a envoyé l’un de ces jours (section de Montreuil) son fameux arrêté relativement à la sûreté de la Convention… Nous avons répondu aux commissaires : « Nous voyons bien que vous êtes envoyés par les grosses perruques de la Convention… Ils ont peur ; eh bien ! mes camarades, dites-leur que c’est une calomnie de leur part contre le peuple des faubourgs que la méfiance qu’ils manifestent à son égard ; dites-leur que le peuple des faubourgs est incapable de se prêter à l’attentat qu’ils ont redouté de sa part ; dites-leur qu’ils fassent mieux leur devoir que par le passé, et que nous n’entendions plus parler de leurs divisions. » Ah ! il faut qu’ils aillent. Nous sommes ici tous gueux, mais tous de braves gens, nous ne connaissons point de voleurs parmi nous ; nous ne connaissons que la droiture et la raison, point de bassesse. »

Et comme pour faire écho au jugement que ces hommes sensés, mesurés et probes portaient sur Marat, Dutard ajoute :

« J’insiste sur Marat, parce que je présume que tous ceux qui vous approchent vous disent que le peuple même le regarde comme un gueux, qu’il n’y a que les brigands qui aient des égards pour lui. Eh bien ! moi, j’ose les contredire, et vous assurer que je connais beaucoup de braves gens qui tiennent beaucoup à la cause de Marat. D’abord le peuple généralement tient pour acquitté Marat sur tous les meurtres qu’il a occasionnés, et vous avez prévu la raison ; pourquoi ? C’est que le peuple qui a partagé les sentiments de