Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/490

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Même à la section de l’Arsenal, la bataille, si disputée depuis plusieurs jours, tourne enfin à l’avantage des sans-culottes. Dutard note les incidents de la soirée du 20 : « Je vole à la section de l’Arsenal ; j’y trouve tout le monde en gaîté, des coups de chaises donnés, plusieurs personnes blessées, un capitaine qu’on avait emporté dans un fauteuil, ici, encore, les saute-ruisseaux, les courtauds de boutique avaient fui ; et les sans-culottes étaient restés les maîtres : « C’est bien beau, disaient quelques personnes, ils veulent donc se faire assommer ; nous ne leur voulons rien, nous ne leur demandons rien ; qu’ils nous laissent donc tranquilles. »

Il semble, à lire Dutard, que l’intervention des sections voisines a été légale : « Plusieurs sections, dit-il, étaient accourues, c’est-à-dire les patrouilles ; elles ont fait respecter la loi, conserver l’ordre et la paix. Nous nous sommes quittés, après mille adieux, à minuit précis, c’est-à-dire après que les commissaires de la Commune se sont retirés eux-mêmes. »

Mais comment Dutard peut-il assurer que dans la bagarre les délégués des autres sections n’ont pas prêté main-forte aux patriotes ? C’est ce qui ressort du compte rendu de la Chronique de Paris. « Bodson fait son rapport au Conseil ; il dit qu’à l’arrivée des commissaires à la section de l’Arsenal, les patriotes avaient déjà eu quelques avantages ; que des députations des sections de Montreuil, des Quinze-Vingts, des Droits de l’Homme, de Marseille, des Arcis, sont venues au secours des patriotes de l’Arsenal ; que l’on a ouvert les portes de l’assemblée avec permission à tout le monde d’entrer en montrant sa carte ; les aristocrates ont pris la fuite en abandonnant leurs chapeaux ; on a adhéré à l’arrêté de la section de Montmartre. »

Animées par l’afflux des forces ouvrières, encouragées par le soutien qu’elles se donnaient les unes aux autres, les sections étaient encore excitées par la prédication véhémente du club des Cordeliers.

« J’arrive à ma section à 9 heures 3/4, écrit Garat. Elle délibérait sur l’admission d’une députation des Cordeliers. Deux d’entre les Enragés étaient à la tribune et voulaient être entendus. « À bas ! à bas ! de la part du côté droit, l’ordre du jour ! » Plus de dix modérés étaient en l’air et semblaient dire, quelques-uns mêmes disaient : « Il n’y a plus que dix minutes, bientôt six, bientôt quatre. »

Emportées par la passion, les sections ne tenaient plus aucun compte du fameux arrêté de la Convention qui interdisait aux sections de se porter les unes chez les autres et qui ordonnait que la séance fût levée à dix heures. Les plus exaltés demeuraient, et l’arrêté de la Convention, comme on le devine par le récit de Dutard, avait un effet paradoxal, tout à fait contraire à l’intention de l’assemblée ; les modérés seuls s’y soumettaient et ainsi, à partir de dix heures, les sections étaient livrées aux sans-culottes. Ceux-ci pensaient, d’ailleurs non sans raison, que la majorité de la Convention avait marqué le terme de dix heures afin que les ouvriers qui n’étaient libres que