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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/535

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fait pour s’y opposer. J’entends des applaudissements qui ébranlaient la salle, des cris et des frémissements de joie ; je me crus dans la Tauride.

« À l’instant où il avait cessé de parler, le maire monte, et seul, dans ma voiture.

« Dans la route, je ne cesse de lui retracer les tableaux affreux des malheurs que cette nouvelle me fait présager, de lui faire considérer surtout que dans le moment où nous sommes en guerre avec toute l’Europe, une grande convulsion dans la ville où sont tous les établissements nationaux peut arrêter tout ce qui fournit aux besoins des flottes et des armées. Au milieu de tant d’autres présages sinistres, c’était celui qui me frappait le plus, parce que c’était le plan qu’on devait supposer à la ligue des tyrans et des esclaves de l’Europe. En exprimant les mêmes craintes et la même douleur, le maire déplorait, et je déplorais avec lui les horribles querelles des passions, qui seules avaient rendu de si grands attentats possibles…

(Oh ! comme Garat déplorait bien, en cette course nocturne de sa voiture ministérielle à travers Paris dormant !)

« … Et nous arrivons au Comité de salut public.

« Le procureur général-syndic du département, Lhuillier, et deux membres du directoire y étaient déjà. Des aveux ou plutôt des déclarations qu’ils faisaient tous, un résultat sortait sans aucune ambiguïté : c’est que le département de Paris était déjà, par son approbation et ses engagements, dans ce qu’il appelait l’insurrection.

« Pache était loin de parler comme Lhuillier : Il rendait compte des faits sans approbation et sans blâme, sans abattement et sans emportement, avec tristesse et gravité.

« Comme on délibérait, je me lève et je déclare que je vais rendre compte de tout à la Convention : « Vous n’êtes point du Comité de salut public, me dit Lacroix, c’est à lui, dans de telles circonstances, à porter la parole par l’organe d’un de ses membres. » On le charge de la porter, et il vient dire, une demi-heure après, qu’il n’avait pas pu parler, que la séance était levée quand il s’était présenté.

« Les membres du département et le maire réitèrent souvent au Comité de salut public l’assurance que, tant qu’ils seront à leur poste, aucune violence ne sera commise dans cette insurrection ; c’est là que pour la première fois, j’entendis sortir de la bouche de Lhuillier ce mot d’insurrection morale, qu’ils écrivirent le lendemain sur quelques-unes de leurs banderolles. Et c’est Lhuillier qui s’insurgeait moralement contre Vergniaud et contre Condorcet ! »

Le Comité de salut public était donc bien averti. Mais il préféra ne pas insister. Le procès-verbal de cette séance dit, non sans une pointe de comique :