Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/534

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

était dans le secret. Le Comité de salut public seul ne savait où l’on voulait nous conduire. »

Le rôle précis assigné par Barère à Danton est-il exact ? Danton a-t-il de sa main rédigé, sur la table du Comité de salut public, la pétition que le lendemain devait lire la Commune ? S’il l’a fait, c’est sans doute pour que cette pétition ne dépassât pas la mesure convenue entre la Commune et lui. Mais comment être assuré même de ce détail sur le seul témoignage de Barère qui embrouille étrangement dans cette partie de ses Mémoires le 31 mai et le 2 juin ? Ce qui est certain, c’est que Danton était informé du mouvement qui se préparait, et qu’il manœuvra pour que ni la Convention ni le Comité de salut public ne prolongeassent leur séance dans la nuit du 30 au 31 mai. Il voulait laisser l’espace de cette nuit aux préparatifs d’insurrection. Le récit de Garat ne laisse pas de doute à cet égard :

« Le jeudi 30 mai, un citoyen m’écrit qu’il a été dit à la tribune de sa section qu’on venait d’arrêter définitivement à l’assemblée de l’Évêché que cette nuit même on fermerait les barrières, on sonnerait le tocsin, on tirerait le canon d’alarme. À peine j’eus lu le billet, je vais le lire au Comité de salut public, et j’annonce que je vais en faire lecture à la Convention nationale, qui était assemblée. Lacroix de l’Eure, qui dans cette soirée ne quitta pas un instant le Comité de salut public, où d’ordinaire il n’était pas si assidu, prend la parole ; il représente que sur un billet qui rapporte ce qu’on a débité à la tribune d’une section, il ne faut pas aller jeter l’alarme au milieu de la Convention nationale ; qu’il faut avant tout se bien assurer des faits, et appeler au Comité de salut public les autorités constituées responsables de la sûreté publique, le département et le maire. Le Comité se range à cet avis. (Barère se garde bien, dans ses Mémoires, de rappeler cette communication de Garat ; il se garde bien de dire qu’il n’insista pas au Comité de salut public pour que la Convention fût immédiatement avertie et qu’elle pût ainsi se déclarer en permanence) ; lui-même mande par un billet le procureur général syndic, et je vais chercher le maire à la Commune.

« Il y arrivait en ce moment ; il montait le grand escalier suivi de dix ou douze hommes, dont les gilets montraient autant de pistolets qu’ils avaient de poches.

« Le maire se penche vers mon oreille, et me dit à voix basse ces paroles, qu’on ne sera pas étonné que j’aie retenues : « J’ai eu beau m’y opposer, je n’ai pas pu les empêcher ; ils viennent de déclarer, par un arrêté, que la Commune de Paris et le département qu’ils représentent, sont en état d’insurrection. » Je lui répondis : « Le Comité de salut public vous mande dans son sein, et je vous attends. » Il entre au Conseil général. Là il publie ce qu’il venait de m’apprendre, et il y déclare plus formellement encore que l’insurrection n’avait été déclarée que contre son avis et malgré tout ce qu’il avait