Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/541

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petit homme grotesque acharné au beffroi, on dirait un de ces gnomes que le moyen âge croyait suspendus de nuit aux cloches des vieilles églises. Enfin la sonnerie, sous les secousses désespérées de Marat, s’agite ; ce démon de la révolte redouble d’efforts ; alors le marteau, soulevé à grand peine, retombe ; le beffroi s’ébranle ; il sonne. »

C’est un Marat d’invention, assez puérilement poussé par Esquiros au diabolique et au fantastique. Il était plus politique et plus rassis que cela ; et il ne se dépensait pas en efforts furieux et en grimaces écumantes. Ce n’est pas dans les notes de sa sœur qu’Esquiros a trouvé les éléments de ce récit. Est-ce dans ses souvenirs ? Est-ce ainsi que Marat s’était plû à représenter son action au matin du 31 mai ? Ou bien était-ce une tradition de la famille de Marat ? Lui-même, dans son journal, n’y fait aucune allusion. Il est vrai qu’il ne parle même pas de sa visite du 30 au soir à l’Évêché, et que, dans ces jours d’action fiévreuse, Marat, n’ayant pas le temps de tenir la plume, suspendit le Publiciste de la République française, du 31 mai au 4 juin.

Le Conseil général de la Commune ne se laissa pas convaincre par les premiers coups du tocsin. Espérait-il encore arrêter le mouvement et réserver toute l’initiative des autorités constituées ? Ou bien couvrait-il sa responsabilité devant la Convention par des protestations légales ? Il lance, par ses cavaliers, une proclamation aux sections :

« Citoyens, la tranquillité est plus que jamais nécessaire à Paris. Le département a convoqué les autorités constituées et les quarante-huit sections pour ce matin, pour les objets de salut public.

« Toute mesure qui devancerait celles qui doivent être prises dans cette assemblée pourrait devenir funeste.

« Le salut de la patrie exige que vous restiez calmes, et que vous attendiez le résultat de la délibération. »

Au tocsin se mêle la générale. Vers cinq heures, le Conseil de la Commune mande le commandant général pour savoir par quel ordre battent les cloches et les tambours. Mais le commandant général est absent ; le commandant de poste ignore où il est actuellement. Le Conseil décide qu’il sera battu un rappel pour inviter tous les bons citoyens à se rendre à leurs postes pour maintenir la tranquillité publique et faire cesser la générale et le tocsin. Confusion extrême ! car le rappel incertain et hésitant de la loi se mêlait au rappel de l’insurrection et, en grossissant l’émoi de tous, donnait au jour naissant une vibration révolutionnaire.

L’Évêché se décide à mettre de l’ordre dans ce chaos. Entre six heures et demie et sept heures, sous la pleine clarté du soleil déjà haut à l’horizon et qui entrait par les larges fenêtres de l’Hôtel de Ville, les commissaires des sections pénètrent à la Commune. Dobsent, président de l’assemblée révolutionnaire, s’assied au bureau comme s’il était déjà le maître, et il dit d’une parole brève : « Le peuple de Paris, blessé dans ses droits, vient de prendre