Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/550

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ment. Je le jure, en recevant de lui la mort, je ne l’aurais pas haï. J’ai été et je serai toujours convaincu qu’il est bon, qu’il veut le bien, mais qu’on peut le porter également à tous les excès du crime, comme à l’amour et à la pratique de la vertu.

« Les nuages s’amoncelaient sur nos têtes, et l’orage était sur le point de fondre. Le 31 mai était le jour où la conspiration devait éclater, où la Convention devait être dissoute, où des victimes devaient tomber sous le fer des assassins. Le son lugubre du tocsin, les tambours battant la générale, les barrières fermées, les courriers des postes arrêtés, les lettres interceptées, les motions sanguinaires faites dans les tribunes des sociétés populaires, répétées dans des groupes nombreux, tout annonçait une grande catastrophe ; ce qui ne laisse aucun doute que le 31 mai était le jour fatal fixé par les conspirateurs, c’est que, à l’avance, ils avaient fait graver des cachets avec cette légende : Révolution du 31 mai, et ils ont eu l’audace de timbrer et de cacheter les lettres qu’ils ouvraient, qu’ils lisaient et qu’ils faisaient passer ensuite aux citoyens à qui elles étaient adressées.

« Ces misérables qualifiaient de révolution la plus misérable des révoltes, l’acte infâme qui renversait la liberté, et il s’est trouvé des hommes assez lâches, des autorités constituées assez viles pour applaudir à des excès aussi coupables.

« … Jusqu’à ce jour je n’avais pas voulu coucher ailleurs que chez moi, malgré les vives instances de ma femme et de mes amis. Je cédai enfin à leurs sollicitations, et je passai la nuit du 30 au 31 dans une maison de la Chaussée d’Antin.

« J’étais chez des vieillards tous respectables, mais il est impossible de peindre la frayeur qu’ils avaient. Ils croyaient à chaque instant voir la garde entrer chez eux, faire des perquisitions de la cave au grenier, le peuple entourer leur maison et l’incendier.

« Le matin, de très bonne heure, le mari et la femme entrèrent dans ma chambre tout éplorés, en me disant qu’ils étaient restés éveillés toute la nuit, que la générale battait. Je crois que j’eusse été sûr d’être pris en sortant que je n’aurais pas balancé à m’en aller, tant la situation de ces braves gens me faisait peine et tant je craignais qu’il leur arrivât quelque chose par rapport à moi.

« Je pris congé de mes hôtes, qui me virent partir avec regret. Je traversai tout le boulevard qui conduit jusqu’à la rue Royale. Je rencontrai de fortes patrouilles, qui ne me dirent mot, et je me réfugiai chez le citoyen…

J’y fus bien reçu ; j’y trouvai Brissot ; nous y passâmes une partie de la matinée, croyant à chaque pas qu’ayant été vus par le portier et par plusieurs personnes de la maison, nous allions être vendus et que le peuple se porterait à l’appartement où nous étions. Nous avions déjà bien examiné le local et préparé notre retraite. Un accident pensa nous déceler et ameuter tout natu-