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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/552

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nombre des votants fut extrêmement faible. Paris votait peu alors, même aux jours où l’esprit public était le plus surexcité et le plus agissant, comme au lendemain du Dix-Août.

Mais, au 31 mai, la masse du peuple était sollicitée par des forces contraires. Au Dix-Août (quoique le nombre des combattants qui investirent les Tuileries fût assez faible) l’élan de Paris était unanime ; tous les révolutionnaires se jetaient dans le même sens. Tous ils voulaient ou briser la résistance de la royauté ou la royauté elle-même.

Au 31 mai, le peuple désirait en finir avec la tyrannie des Douze, avec l’esprit de coterie de la Gironde, avec ces divisions et ces querelles qui, en paralysant la Convention, paralysaient la Révolution elle-même. Mais un scrupule et une sorte de remords se mêlaient à cette pensée. N’était-il pas criminel, n’était-il pas dangereux d’attenter à la Convention, d’entamer la représentation nationale ? Et une inquiétude aussi se propageait parmi les artisans : qui sait si la propriété même des travailleurs, ne serait pas mise en question et en péril ? Le courant révolutionnaire, contrarié par toutes ces résistances, se développait avec lenteur comme un cours d’eau obstrué qui se meut difficilement sur une pente incertaine. Mais est-ce là une démission politique collective de Paris ?

L’animation, au 31 mai, quoique un peu ambiguë, était cependant immense. Je sais bien qu’il ne faut pas accorder grand crédit à ce que raconte Prudhomme dans ses Révolutions de Paris : c’est un mercanti, un lâche et un fourbe. Le même homme qui avait si traîtreusement calomnié, il y a quelques semaines, les patriotes des sections, les révolutionnaires des Comités, se met soudain, sous l’impression des événements de la fin de mai, à aduler Hébert, à glorifier platement « ces feuilles du Père Duchesne, cadre heureux, et plus propre peut-être à l’instruction du peuple que tous ces beaux plans d’éducation qu’on nous a tracés jusqu’ici. » Les jurons du Père Duchesne, ses violences sans sincérité et sans âme, tout cela vaut mieux que le plan de Condorcet ! Le pleutre, tenant à magnifier Paris après l’avoir dénigré, donnait à la journée du 31 mai l’aspect le plus grandiose, et, encore une fois, il faut se méfier de lui. Il est difficile cependant qu’il ait imaginé tous les traits du tableau :

« Quel imposant spectacle offrait Paris !Près de 300 000 citoyens sous les armes, car toutes les municipalités du département et même au delà (5 000 hommes accourent de Versailles) s’empressèrent de donner leur contingent à cette paisible insurrection, 300 000 citoyens, disons-nous, rassemblés au premier son du tocsin. »

Beaulieu, qui prenait des notes au jour le jour, et qui a publié : Les souvenirs de l’histoire ou le Diurnal pour l’an de grâce 1793, écrit à propos du 31 mai :