Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/559

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tirée, et le fourreau jeté loin de nous ; il ne restait plus qu’à combattre. »

Les Montagnards, en cette séance du 31 mai, étaient dans une situation très difficile. L’insurrection qui devait les débarrasser de leurs adversaires était assez déclarée pour compromettre la Montagne ; elle n’était pas assez vigoureuse pour perdre la Gironde.

La force sectionnaire qui commençait à s’accumuler au Carrousel était divisée et hésitante. Seules les tribunes étaient passionnément dévouées à la Montagne, et qu’auraient-elles pu contre une attitude résolument violente de la Convention ? Celle-ci ne s’émut pas outre mesure quand Pache lui annonça d’un ton tranquille l’annulation et le rétablissement révolutionnaire de la municipalité. Il ne désavouait pas l’Évêché : « Nous avons, dit-il, accepté avec reconnaissance ». Ainsi il légalisait la Révolution ; il communiquait avec la Convention nationale, non pas en vertu des pouvoirs qu’il tenait de la loi, mais en vertu du mandat qu’il tenait de la souveraineté insurrectionnelle du peuple, exprimée par les délégués des sections. Il fut admis aux honneurs de la séance. Sans doute la Gironde voyait-elle une suprême sauvegarde en cet homme qu’elle avait tant calomnié, et qui semblait appelé à jouer un rôle d’apaisement.

C’est la nouvelle qu’Henriot avait voulu faire tirer le canon d’alarme qui souleva l’orage. Le commandant de la force armée de la section du Pont-Neuf avertissait la Convention « que Henriot, commandant provisoire de la garde nationale de Paris, ayant donné l’ordre de tirer le canon d’alarme, la garde de poste au Pont-Neuf s’y étant refusée, il en avait référé au département, lequel avait passé à l’ordre du jour, motivé sur la loi qui défend de tirer le canon d’alarme sans un décret de la Convention ». Il attendait les ordres de la Convention et demandait à être admis à la barre.

Aussitôt les Girondins s’indignent. Que veut cet Henriot ? Que prépare cet impertinent, ce factieux ? Qu’on le somme de venir et de s’expliquer. Matthieu, Valazé s’emportent en paroles violentes ; ils sont soutenus par des pétitionnaires du Pont-Neuf qui répètent que le département a rappelé à tous que la loi défend de tirer le canon d’alarme. Vergniaud semble préoccupé surtout d’empêcher que le conflit s’aggrave : « S’il y a un combat, s’écrie-t-il, quel qu’en soit le succès, il sera la perte de la République, » mais lui aussi, il veut qu’on sache qui a fait sonner le tocsin, qui a ordonné de tirer le canon d’alarme. Justement il vient de tonner, et la Montagne se demande avec inquiétude comment elle manœuvrera. Si elle désavoue Henriot, si elle le mande, si elle le livre, elle désorganise le mouvement populaire dont elle a besoin, elle jette la confusion et le doute dans les rangs des patriotes, elle donne à la Gironde un premier avantage que celle-ci poussera aisément à travers Paris désemparé et déconcerté. Si au contraire elle avoue Henriot, si elle prend parti pour l’homme qui a fait tirer le canon d’alarme, malgré l’ordre contraire donné le matin par la Commune, malgré