Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/582

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créteraient. Il ne faut pas que ces mesures soient entravées par les ennemis de la chose publique. Les sections, en un mot, ne doivent que surveiller, et s’occuper uniquement du discernement des personnes suspectes. »

Qu’est-ce à dire ? C’est que les plus ardents de la Montagne redoutent l’intervention contre-révolutionnaire d’un peuple encore mal éduqué. Si les sections restent souveraines ou le deviennent, elles pourront briser ou amortir le mouvement Les correspondances de Marseille (journal de la Montagne du 1er juin) ne font-elles pas connaître que là « on a profité de l’absence de nos braves sans-culottes qui sont allés exposer leur vie contre les ennemis de la République, pour établir à Marseille un système qui tend à les opprimer » et que « tous les riches, tous les gros capitalistes, trop lâches pour prendre les armes et même pour parler expressément des sans-culottes, se sont emparés des sections et y dominent avec insolence » ? Ne sait-on pas que « dans ces fausses sections, où la voix du peuple est étouffée, on vomit des horreurs contre la Montagne, contre les Jacobins de Paris, contre toutes les sociétés qui professent les principes du pur républicanisme » ?

De même les « fausses sections » de Paris, stipendiées par les aristocrates, pouvaient devenir dangereuses : elles répondraient, si on n’y prenait garde, à l’appel insidieux de la Gironde. L’implicite conclusion révolutionnaire de Boissel, c’est qu’il faut moins compter sur la force diffuse et incertaine du peuple que sur des comités d’action vigoureux et reliés les uns aux autres. Au fond, il proclame la faillite de la tactique confiante et abandonnée du 31 mai, et propose, pour un jour prochain, une tactique plus concentrée et plus efficace.

C’est dans le même sens qu’insiste un autre citoyen :

« Le citoyen Mittié vous a dit que la peur avait fait faire une bonne action à Vergniaud ; moi je le regarde comme un remerciement aux aristocrates d’avoir empêché les patriotes de donner à leur insurrection le caractère qu’elle devait avoir. »

Qu’attendre de net et de vigoureux, à moins qu’on ne l’organise et qu’on ne l’entraîne, d’un peuple asservi encore à toutes les superstitions du passé ? Un militaire s’indigne de l’attitude de Paris à la Fête-Dieu. La veille, 30 mai, dans son bulletin de police, Dutard avait écrit à Garat :

« J’arrive dans la rue Saint-Martin, près de la rue Saint-Merri, j’entends un tambour et j’aperçois une bannière. Déjà, dans toute cette rue, on savait que Saint-Leu allait sortir en procession. J’accours au-devant. Tout y était modeste. Une douzaine de prêtres, à la tête desquels était un vieillard respectable, le doyen, qui portait le rayon sous le dais. Un suisse de bonne mine précédait le cortège ; une force armée de douze volontaires à peu près sur deux rangs, devant et derrière ; une populace assez nombreuse suivait dévotement. Tout le long de la rue, tout le monde s’est prosterné ; je n’ai pas vu un seul homme qui n’ait ôté son chapeau. En passant devant le corps de