Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/590

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talité, sans effusion de sang, avec une sorte de régularité apparente qui ménage la susceptibilité des départements, et épargner à la France menacée au dedans et au dehors les convulsions funestes de la guerre civile. Marat abondait dans cette politique de vigueur et de sagesse, et il était pour Pache, en ces heures difficiles, un allié tout à fait sûr. Lui-même a conté comment il avait, au 1er juin, tracé le plan politique, désavouant à la fois la tiède rhétorique de Barère qui ne pouvait qu’endormir les esprits, et l’impatience meurtrière des Enragés. Il fut, en cette journée du 1er juin, le vrai chef du peuple. Il a dit, sans forfanterie, ce que fut son rôle à la Convention, dans la rue, au Comité de salut public, à la Commune.

« La proclamation de Barère, adoptée avec quelques légères modifications, porte l’éloge de l’attitude fière et calme qu’ont déployée les Parisiens, la déclaration qu’ils ont bien mérité de la patrie, et la proposition d’une nouvelle fédération le 14 juillet prochain. (Non, le 10 août. Marat, très énervé, n’avait plus une grande sûreté de mémoire.)

« Je m’approche de Barère pour lui dire que ces mesures sont insuffisantes, que le calme dont il loue les Parisiens n’est qu’un assoupissement momentané, que le seul moyen de rétablir la tranquillité à Paris est la justice éclatante faite des traîtres de la Convention. Il repoussa mes observations avec un sourire moqueur ; on connaît ses principes de modérantisme et ses petits expédients : le moyen d’en être surpris !

« Je sors pour porter diverses affaires importantes au Comité de sûreté générale, prévoyant trop qu’on ne prendrait aucune grande mesure à la Convention. De là je me rends chez un citoyen pour avoir des renseignements sur plusieurs meneurs aristocratiques de la section de la Butte-des-Moulins. À mon retour, je trouve grand rassemblement dans la rue Saint-Nicaise ; je suis reconnu et suivi par la foule. De toutes parts retentissaient des réclamations contre le défaut d’énergie de la Montagne ; de toutes parts on demandait l’arrestation des députés traîtres et machinateurs ; de toutes parts on criait : Marat, sauvez-nous ! Arrivé à la place du Carrousel, j’y trouve une multitude de citoyens en armes ; la foule augmente et répète les mêmes cris. Je supplie, la multitude de ne pas me suivre, j’entre dans le château des Tuileries, puis dans l’hôtel du Comité de sûreté générale pour me dérober à ces instances. Peine perdue, il fallut la traverser de nouveau pour me rendre au Comité de salut public, qui était assemblé avec les ministres, le maire et quelques membres du département. Je rendis compte de ce qui venait de m’arriver, je représentai au Comité l’insuffisance des mesures présentées par Barère, j’observai que les seules efficaces étaient l’arrestation des membres dénoncés et de la Commission des Douze.

« Le Comité était à délibérer sur ces mêmes mesures ; il m’invita à me rendre à la municipalité avec le maire, à l’effet de prévenir tout mouvement désordonné. »