Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/599

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leur vrai point de vue en faisant sentir que ce n’est pas à des accusés de trahison de se dévouer pour la patrie, mais aux députés intacts, victimes de leurs vertus et de la calomnie. J’offre ma démission et je demande l’arrestation de tous les membres dénoncés. Ma demande est appuyée par tous les vrais Montagnards ; elle était prête à passer lorsque plusieurs hommes d’État s’écrient qu’ils ne sont pas libres, que la salle est entourée de citoyens qui ne veulent pas les laisser sortir. »

L’investissement de la Convention était, en effet, plus étroit à chaque minute. Des femmes encombraient les couloirs, et des soldats apostés par Henriot gardaient les issues de la salle.

Barère, presque toujours élevé au-dessus de son propre courage quand la majesté et l’intégrité de la Convention étaient brutalement menacées, s’emporte contre ces mesures avilissantes.

« Ce n’est pas à des esclaves à faire la loi : la France désavouerait celles émanées d’une assemblée asservie. Comment ces lois seraient-elles respectées si vous ne les faites qu’entourés de baïonnettes ? Nous sommes en danger, car des tyrans nouveaux veillent sur nous ; leur consigne nous entoure ; cette tyrannie est dans le Comité révolutionnaire de la Commune ; et le Conseil général, s’il ne prend de promptes mesures pour prévenir ces violences, mériterait de graves reproches. Il se trouve dans son sein des membres, du moral de qui je ne voudrais pas répondre.

« Le mouvement dont nous sommes menacés appartient à Londres, à Madrid, à Berlin, un des membres du Comité révolutionnaire, nommé Gusman, m’était connu pour être espagnol… Peuple, on vous trahit. »

Mais à quoi servait tout cela ? Que signifiait cette demi-résistance ? Et pourquoi Barère, qui consentait, sous la pression de la force populaire, à demander leur démission aux Girondins, affectait-il soudain ces scrupules d’indépendance ? Sur quelle force armée aurait-il pu compter ? et comment pouvait-il espérer, à ce moment, mettre en contradiction le Comité révolutionnaire de l’Évêché et le Conseil général de la Commune tout pénétré d’influences révolutionnaires ?

La gauche de la Convention était dans un embarras terrible. Elle voulait frapper la Gironde. Mais s’il était déjà dangereux d’amputer la représentation nationale, combien cette mutilation était-elle plus périlleuse encore quand elle paraissait s’accomplir sous la menace de la rue soulevée ? Que resterait-il demain du privilège de la Convention, c’est-à-dire de l’autorité morale de la Révolution elle-même ? Levasseur a bien marqué dans ses Mémoires cette douleur inerte.

« Une sorte de stupeur régnait dans l’Assemblée ; nous-mêmes, membres de la Montagne ; qui désirions mettre un terme à la domination de quelques collègues incapables de remplir leurs fonctions, nous-mêmes nous ne pouvions pas voir sans douleur les efforts de l’insurrection populaire contre le seul