Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/598

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

« Le Comité n’a pas cru devoir accepter la mesure de l’arrestation ; il a pensé qu’il devait s’adresser au patriotisme, à la générosité et à l’amour de leur patrie des membres accusés et leur demander la suspension de leurs pouvoirs, en leur représentant que c’est la seule mesure qui puisse faire cesser les divisions qui assiègent la République et y ramener la paix. »

C’est seulement pour un temps déterminé qu’ils devaient se suspendre.

Quelques-uns des Girondins, Dussault, Fauchet, Isnard acceptèrent ce compromis étrange ; Isnard avec solennité. Mais Barbaroux, Lanjuinais protestèrent :

« J’ai, je crois, s’écria Lanjuinais, montré jusqu’à ce moment quelque courage et quelque énergie. N’attendez donc de moi ni démission, ni suspension. »

Et comme il était interrompu par quelques murmures :

« Sachez, dit-il, que la victime qu’on traîne à l’autel n’est pas insultée par le prêtre qui l’immole : les anciens la couronnaient de fleurs. »

« — Non, ajouta Barbaroux, n’attendez de moi aucune démission. J’ai juré de mourir à mon poste, je tiendrai mon serment. »

Marat était très irrité contre la combinaison équivoque imaginée par le Comité de salut public et la Gironde, et qui grandissait celle-ci :

« Je désapprouve, dit-il à la Convention, la mesure proposée par le Comité, en ce qu’elle donne à des accusés de conspiration les honneurs du dévouement. Il faut être pur pour offrir des sacrifices à la patrie ; c’est à moi, vrai martyr de la liberté, à me dévouer. J’offre donc ma suspension du moment où vous aurez ordonné la détention des contre-révolutionnaires ; en ajoutant à la liste Fermont et Valazé qui n’y sont pas, et rayant Ducos, Lanthenas et Dussault qui n’y doivent pas être. »

Il parlait comme s’il était le maître, avec une sorte de désintéressement dictatorial. Il insiste dans son journal :

« L’énergie qu’avait montrée la veille le Comité de salut public s’était évanouie… il ne fut point question dans le rapport de sévir contre les députés infidèles. Au lieu d’un décret d’accusation à proposer, ce fut une invitation adressée indistinctement aux membres de la Convention qui ont été une pomme de discorde de donner leur démission ou simplement de suspendre l’exercice de leurs fonctions jusqu’à ce que la paix fût rétablie. Une mesure aussi fausse ne pouvait qu’aigrir les esprits et révolter le peuple en lui faisant pressentir qu’il n’avait aucune satisfaction à attendre ; elle tournait même en faveur des traîtres dénoncés par les autorités constituées ; on eût dit qu’elle avait été concertée par eux, aussi la saisirent-ils avec empressement.

« Isnard s’élance à la tribune pour faire l’éloge de son civisme, et afficher les marques de son dévouement à la patrie en donnant sa démission.

« Lanthenas veut l’imiter : on lui crie qu’il peut s’en dispenser… Voyant très bien où allait cette farce sentimentale, je m’empresse de tourner les choses à