Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/611

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

mes : ou bien ils créeraient, à Bourges ou ailleurs, un autre centre de gouvernement, une autre capitale, celle du girondisme, la capitale de l’ordre, qui entrerait en lutte avec la capitale de l’anarchie jusqu’à ce que tout le pays fût ramené sous la discipline d’une même politique et d’une même loi. C’eût été en réalité le centralisme girondin et départemental s’opposant au centralisme montagnard et parisien. C’était là le plan de plusieurs Girondins, notamment de Guadet, à une heure où les chefs de la Gironde pouvaient se flatter encore d’établir entre eux quelque unité d’action.

Ou bien encore les Girondins pouvaient compter sur l’explosion diverse et spontanée des forces multiples de mécontentement et d’opposition qui, selon les régions, avaient des formes différentes. L’avenir ferait surgir de cette dissociation momentanée une association nouvelle, la France retrouverait son unité, mais sans l’action de Paris, contre l’action de Paris, c’est-à-dire une unité plus libre et plus souple. C’était là, si l’on peut dire, un fédéralisme de transition et aussi un fédéralisme de désespoir. Oui, mais comme une nation habituée à l’organisation et à l’unité ne peut tomber ainsi en dissociation, même provisoire, sans avoir l’angoisse de l’agonie et le pressentiment de la mort irrévocable, il était certain que cette anarchie départementale chercherait soudain à s’organiser autour d’un centre de forces et d’idées, et quel autre centre que la tradition monarchique et l’idée contre-révolutionnaire ?

C’est en ce sens profond que Barère avait raison de dire, d’un mot que Buzot trouve sophistique, et qui est vrai d’une vérité ample, que les Girondins, par leur schisme avec Paris, préparaient la royauté sous la forme fédérative. Oui, cela était vrai, même si l’étranger, défenseur armé de la contre-révolution, ne mettait pas à profit cette anarchie pour imposer à la nation sa loi contre-révolutionnaire.

Baudot a très finement marqué, dans ses notes, les nuances exactes du fédéralisme girondin. Il dit très bien que l’organisation fédérative des départements n’était, dans leur plan, qu’une manœuvre pour écraser leurs adversaires à Paris et reprendre le pouvoir :

« Le 31 mai ne fut qu’une contre-partie. Les députés de la Bretagne s’étaient assemblés plusieurs fois sous prétexte de repas civiques, et dans ces réunions, en apparence gastronomiques, on avait élevé plusieurs fois la question de se débarrasser de la Commune de Paris, enfin de se constituer en départements fédératifs, de décimer la Montagne, de la détruire même en entier au besoin, ce qui eut son effet plus tard, tant pour sa décimation que pour son renversement total. On avait eu soin d’éloigner Charles Duval, député d’Ille-et-Vilaine, et Fouché, député de la Loire-Inférieure, tous les deux comme trop opposés au système qu’on voulait faire prévaloir. Beaujard et Méaule furent toujours opposés à l’objet de ces réunions. N’ayant pu vaincre