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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/619

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être en était-il de même de beaucoup de membres du côté droit. Dès que nos adversaires s’étaient arrêtés dans la carrière que nous voulions poursuivre jusqu’au bout, ils faisaient à leur insu cause commune avec les aristocrates ; et, recevant seulement l’impression des résistances que nous éprouvions, nous pouvions difficilement distinguer entre les opposants : tout ce qui s’accrochait au char de la Révolution pour le tirer en arrière était égal à nos yeux ; c’était l’aristocratie seule qui devait profiter de leur triomphe. Au reste, cette injustice était si naturelle, que les Girondins étaient tombés dans une erreur semblable à l’égard des Constitutionnels.

« Roland et Louvet avaient confondu La Fayette et Bailly avec Maury et Cazalès ; il n’était pas étonnant, lorsque les premiers s’étaient arrêtés à leur tour, que nous fussions portés à confondre Vergniaud et Pétion avec Ramond et Dumas ; c’est le cours naturel des choses, nous ne voyions que le but et l’entrave qui nous empêchait de l’atteindre ; à quelque titre que nos adversaires aient concouru à l’élever, ils ne devaient pas nous être moins suspects, ils ne nous étaient pas moins odieux. »

Est-il vrai que la Gironde a triomphé, d’une victoire posthume, en quelques-unes de ses thèses ? Certes, elle est associée à la victoire générale de la Révolution, dont elle fut un moment une force, avant de devenir pour elle un péril. Mais, si l’on parle des tendances mêmes par où la Gironde s’opposait à Paris et à la Montagne, sa victoire n’est qu’apparente.

Baudot a dit que les Montagnards voulaient prolonger les mesures énergiques et « que les Girondins voulaient appliquer tout de suite des vues organiques ». Et maintenant, ce n’est pas par des mesures de circonstance, c’est par l’application « de vues organiques » que la démocratie républicaine, forme de la Révolution, se constitue et se développe. Oui, mais les Montagnards voulaient aussi, dès que la tourmente serait passée, gouverner « par des vues organiques ».

Les Girondins combattaient ce qu’il y a d’outré dans l’influence de Paris, et aujourd’hui toute la France républicaine sait faire équilibre, quand il le faut, aux erreurs de Paris, à ses fantaisies césariennes et à ses entraînements chauvins. Mais cet équilibre des forces ne ressemble en rien à cette haine que la Gironde voulait souffler à la France. Ce n’est pas la destruction ou la diminution de Paris ; c’est, au contraire, l’élargissement, c’est l’extension de la lumière et de la vie qui réduit Paris à n’être qu’un des foyers. Aussi bien, les Montagnards, disciples de Jean-Jacques, n’avaient pas le fanatisme de Paris ; mais Paris était dans leurs mains le seul instrument possible de la défense nationale et de la grande action révolutionnaire.

Oui, la Gironde a protesté contre ce qu’il y avait d’étroit dans la sévérité affectée ou sincère d’une partie de la Montagne : elle a ouvert devant la Révolution de splendides perspectives de richesse ; mais une grande partie des Montagnards répudiait les paradoxes de Jean-Jacques et avait le culte de la