Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/628

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préconiser une religion dans laquelle on enseigne qu’il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes ; et remarquez, citoyens, que les prêtres de cette religion, dont Durand-Maillane vous a fait un si pompeux éloge, ont encore un despotisme bien plus étendu que celui des rois. Celui-ci se bornait à rendre les hommes et les peuples malheureux dans cette vie, mais les autres tyrans étendent leur domination à une autre vie, dont ils n’ont pas plus d’idée que des peines éternelles auxquelles quelques hommes ont la très grande bonté d’ajouter quelque croyance. (Applaudissements.) Le moment de la catastrophe est arrivé. Tous les préjugés doivent tomber en même temps. Il faut les anéantir ou que nous en soyons écrasés. Il faut du 10 août au 1er  janvier 1793, parcourir avec hardiesse et courage l’espace de plusieurs siècles… En vain Danton nous disait-il piteusement il y a quelques jours, à ce sujet, que le peuple avait besoin d’un prêtre pour rendre le dernier soupir. Eh bien, pour détromper le peuple, je lui dirai : « Danton vous annonce qu’il veut jouir d’un privilège qu’il vous refuse, il veut vous laisser asservir à la volonté despotique de ce prêtre qui ne croit pas un mot de ce qu’il vous dit qui vous trompe et qui ne trompe pas Danton » ; et, pour prouver au peuple que ce prêtre n’est pas toujours nécessaire à la dernière heure, contre l’avis de Danton, je lui montrerai Condorcet fermant les yeux à d’Alembert (Applaudissements.)…

« Je l’avouerai à la Convention, je suis athée (il se fait une rumeur subite. Les acclamations de plusieurs membres prolongent le tumulte. — « Peu nous importe, s’écrie un grand nombre d’autres, vous êtes honnête homme. ») Mais je défie un seul individu, parmi les vingt-cinq millions qui couvrent la surface de la France, de me faire un reproche fondé… »

Quelle était au juste la conclusion de Jacob Dupont ? Était-ce l’athéisme légal et obligatoire ? Voulait-il prohiber le culte, et préluder à une sorte d’hébertisme discret et philosophique ? Je crois que sa pensée n’allait pas jusque-là, et sans doute il aurait ménagé les préjugés des hommes vieillis dans la superstition. Mais c’est l’enfant, c’est la femme, qu’il veut pleinement libérer d’un coup. C’est à l’école primaire qu’il demande de former la raison libre, et les générations nouvelles n’auront même pas besoin de renverser les autels, elles n’auront qu’à s’en détourner pour qu’ils tombent. Entreprise immense ! mais n’est-ce pas le propre des révolutions de concentrer en l’espace de quelques jours l’œuvre des siècles ? La révolution n’est-elle pas libérée de la servitude du temps comme des autres servitudes ? Tout se tient dans l’humanité comme dans la nature, et la liberté politique a pour condition, pour complément nécessaire la liberté intellectuelle. Les libertés se fortifient les unes les autres, comme les préjugés se fortifient les uns les autres. Admettre je ne sais quelle promiscuité de la liberté républicaine et de la servitude religieuse, c’est compromettre la République, c’est la livrer à une contagion de tyrannie. L’esprit s’éblouit à imaginer ce qu’aurait été la