Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/630

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Durand-Maillane. (De nombreux applaudissements s’élèvent dans l’Assemblée presque entière et dans les tribunes.) »

Voilà une esquisse puissante d’une Université de Paris toute rationaliste, encyclopédique et révolutionnaire. Dans ce manifeste si large et si plein il y avait une lacune, Dupont, qui sait pourtant que tout se tient, ne paraît pas songer que dans la constitution sociale de 1793, les salariés, les manœuvriers sont obligés à de tels efforts pour gagner leur vie, ils ont une telle habitude, surtout à la campagne, d’utiliser de bonne heure la force de travail des enfants pour ajouter le minuscule gain de ceux-ci au modeste gain de la famille qu’il est malaisé d’espérer qu’ils se prêteront à ce système d’instruction et d’éducation un peu vaste. Cette difficulté, le conventionnel Petit la signale dans un important discours qui montre qu’à approfondir le problème de l’éducation, la Convention allait toucher à tout le problème social. Cette difficulté économique et sociale signalée par Petit a frappé aussi Lepelletier de Saint-Fargeau, et je la retrouve exprimée dans son mémoire sur l’éducation comme dans le discours de Petit.

« Quiconque, dit-il, peut se passer du travail de son enfant pour le nourrir, a la facilité de le tenir aux écoles tous les jours, et plusieurs heures par jour.

« Mais quant à la classe indigente, comment fera-t-elle ? Cet enfant pauvre, vous lui offrez bien l’instruction, mais avant il lui faut du pain. Son père laborieux s’en prive d’un morceau pour le lui donner, mais il faut que l’enfant gagne l’autre. Son temps est enchaîné au travail, car au travail est enchaînée sa subsistance. Après avoir passé aux champs une journée pénible, voulez-vous que, pour repos, il aille à l’école éloignée peut-être d’une demi-lieue de son domicile ? Vainement vous établirez une loi coercitive contre le père, celui-ci ne saurait se passer journellement du travail d’un enfant qui, à huit, neuf et dix ans, gagne déjà quelque chose. Un petit nombre d’heures par semaine, voilà ce qu’il peut sacrifier. Ainsi, l’établissement des écoles, telles qu’on les propose, ne sera, à proprement parler, bien profitable qu’au petit nombre de citoyens indépendants dans leur existence, hors de l’atteinte du besoin ; ceux-là pourront faire cueillir abondamment par leurs enfants les fruits de l’instruction ; et il n’y aura encore qu’à glaner pour l’indigent. »

Après tout, pour remédier à ce vice social, il aurait suffi d’indemniser les familles pauvres qui enverraient les enfants à l’école. Mais Lepelletier avait des vues plus étendues. Cet homme qui avait été un des grands seigneurs de France, et qui était encore un des plus grands propriétaires fonciers, avait eu de bonne heure, et avant même la Révolution, la conscience que les fortunes immenses imposaient de grands devoirs. Il était connu sous l’ancien régime par les remises qu’il faisait à ses ouvriers et à ses fermiers dans les années de détresse. Après le 4 août, il consentit à la suppression des droits féodaux avec une bonne grâce très efficace.