Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/639

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il faut que le besoin qui partage soit parcimonieux ; l’enfant est mal nourri, mal soigné, mal traité, et souvent parce qu’il souffre, il ne se développe point ou il se développe mal et, à défaut de la plus grossière culture, cette jeune plante est avortée.

« Quelquefois même, le dirai-je, un spectacle plus déchirant m’a navré. Je vois une famille affligée, j’approche : un enfant venait d’expirer, il était là. Et d’abord la nature arrachait à ce couple infortuné quelques pleurs ; mais bientôt l’affreuse indigence lui présentait cette consolation plus amère encore que ses larmes : « C’est une charge de moins ».

« Utiles et malheureux citoyens, bientôt peut-être cette charge ne sera plus pour vous un fardeau ; la République bienfaisante viendra l’alléger un jour ; peut-être, rendus à l’aisance et aux douces impulsions de la nature, vous pourrez donner sans regret des enfants à la patrie. La patrie les recevra tous également, et lorsque vous les reprendrez tout formés de ses mains, ils feront rentrer dans vos familles une nouvelle source d’abondance, puisqu’ils y apporteront la force, la santé, l’amour et l’habitude du travail. »

Et quelle force pour la République ! quelle leçon, non plus inerte et verbale, mais réelle, pratique, vivante d’égalité ! Et quelle pénétration profonde de la Révolution jusque dans ces couches misérables qui n’en ont pas encore ressenti le bienfait, parce qu’elles étaient préservées, par l’excès même de leur misère, de l’effet sensible et immédiat des privilèges que la Révolution a abolis ! Ici, la philanthropie de Lepelletier se complète d’un grand sens historique et social.

« Ainsi, depuis cinq ans jusqu’à douze, c’est-à-dire dans cette portion de la vie si décisive pour donner à l’être physique et moral la modification, l’impression, l’habitude qu’il conservera toujours, tout ce qui doit composer la République sera jeté dans un moule républicain.

« Là, traités tous également, nourris également, vêtus également, enseignés également, l’égalité sera pour les jeunes élèves, non une spécieuse théorie, mais une pratique continuellement effective.

« Ainsi se formera une race renouvelée, laborieuse, réglée, disciplinée, et qu’une barrière impénétrable aura séparée du contact impur de notre espèce vieillie.

« Ainsi, réunis tous ensemble, tous indépendants du besoin, par la munificence nationale la même instruction, les mêmes connaissances leur seront données à tous également, et les circonstances particulières de l’éloignement du domicile, de l’indigence des parents, ne rendront illusoire pour aucun le bienfait de la patrie.

« Ainsi la pauvreté sera secourue dans ce qui lui manque ; ainsi la richesse est dépouillée d’une portion de son superflu ; et, sans crise ni convulsion, ces deux maladies du corps politique s’atténuent insensiblement.

« Depuis longtemps elle est attendue cette occasion de secourir une