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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/642

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a prétendu dégrader les hautes pensées de Platon et de Thomas Morus : Mânes de mon frère, consolez-vous ! »

Ce n’est pas ce plaidoyer sentimental et compromettant qui consolera les mânes de Michel Lepelletier. Quand son frère compare cette œuvre forte et hardie, toute appliquée à la réalité, aux esquisses sociales que Platon et Thomas Morus proposèrent à l’imagination ou à la pensée, mais non à l’action des hommes, il commet, au détriment du vigoureux Conventionnel, la plus fâcheuse méprise.

Il n’était pas un philosophe ou un romancier social. Homme de pensée et homme d’action, investi d’un mandat qui remettait en ses mains une part de la souveraineté nationale, engagé dans une Révolution qui renouvelait à fond la société et qui semblait faire de l’humanité une matière première susceptible de formes toutes nouvelles, il avait cherché quel système d’éducation convenait le mieux à cette nation à la fois très ancienne et très jeune, toute usée et toute neuve. Il ne proposait pas son plan comme une esquisse téméraire, brillante et vaine. Il était convaincu, comme d’ailleurs son frère l’a noté, que ce plan était applicable et il s’efforçait de le rendre tel. Il ne soumettait pas à la Convention, il ne faisait même pas entrevoir pour un avenir lointain, une organisation de communisme total, il ne demandait qu’un communisme limité à l’éducation et temporaire. Il ne prenait les enfants que pendant sept ans pour le premier degré d’instruction. Il avait un désir si sincère d’aboutir, il s’efforçait si bien de ménager les préjugés et les habitudes que, malgré son impatience, il accordait un délai de quatre ans avant de rendre l’institution publique obligatoire, et, malgré son désir de préserver les enfants de la précoce déformation religieuse, il consentait, pour obtenir plus aisément l’agrément des campagnes, à permettre qu’à côté de l’enseignement national et commun, exclusivement rationaliste et laïque, l’enseignement religieux continuât à être donné. Il rassurait la bourgeoisie industrielle contre l’appréhension qu’elle pourrait avoir d’une mainmise de l’État sur l’éducation professionnelle et par un prolongement assez naturel sur la production elle-même.

« Au sortir de l’institution publique, l’agriculture et les arts mécaniques vont appeler la plus grande partie de nos élèves, car ces deux classes constituent la presque totalité de la nation… L’apprentissage de leurs divers métiers n’est pas du ressort de la loi. Le meilleur maître, c’est l’intérêt ; la leçon la plus persuasive, c’est le besoin. Les champs, les ateliers sont ouverts : ce n’est pas à la République à instruire chaque cultivateur et chaque artisan en particulier ; tout ce qu’elle peut faire, c’est de surveiller en général le perfectionnement de l’agriculture et des arts, surtout d’en développer les progrès par des encouragements efficaces et par des lois d’une sage économie. »

Il n’y aura donc aucun empiétement de la communauté sur l’activité économique. Non seulement l’État ne retiendra que jusqu’à douze ans les enfants