Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/645

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ne sont encore que des tendances, mais qui iront se développant à mesure que grandira l’influence sociale du prolétariat et que l’esprit socialiste pénétrera les pouvoirs publics dans la commune et dans l’État. Or, ces tendances s’exercent dans le sens du système de Lepelletier : et celui-ci, bien loin d’être une chimère, entre de plus en plus dans la réalité à mesure que la démocratie elle-même devient davantage une réalité. Cette sorte de communisme scolaire est déjà assez fortement ébauché pour qu’il soit permis de prévoir que le plan de Lepelletier sera accompli bien avant que toutes les institutions économiques aient été transformées par le communisme.

Il n’est donc aucunement utopique à la date même où il a été formulé, car il ne suppose pas une transformation décisive du régime de la propriété : il est adapté dès l’origine aux formes immédiates de la démocratie révolutionnaire. Et la lenteur avec laquelle il se réalise ne vaut pas plus contre lui que la longue éclipse de la démocratie, du suffrage universel, de la Révolution ne vaut contre la démocratie, le suffrage universel, la Révolution. Les lignes directrices du plan de Lepelletier se marquent de nouveau en traits lumineux toutes les fois que l’esprit de la Révolution s’avive : et puisque ce système d’éducation est à ce point solidaire de la Révolution, il ne peut être utopique dans la société qui procède de la Révolution.

Ce qui est vrai, c’est que Lepelletier de Saint-Fargeau y a attaché plus d’espérances sociales qu’il ne convenait. Même le communisme complet de l’éducation première ne suffirait pas à fondre les classes, ou même à atténuer sensiblement les antagonismes qui résultent du privilège de la propriété. Dans la même maison, sous le même régime, avec la même discipline, les fils des prolétaires et les fils des grands patrons garderaient la conscience très vive de l’opposition d’intérêts que l’organisation sociale maintient entre eux. Mais ceux-là seuls qui croient qu’une société se substitue d’un bloc à une autre seront tentés de dédaigner les effets de ce communisme premier, si incomplet, si superficiel qu’il soit. C’était une grande chose, à l’heure où se constituait la démocratie, de signifier à tous ses fils qu’ils devaient au moins traverser une période de vie commune. C’était une grande chose de vouloir les habituer tous à la même simplicité de mœurs. C’était une grande chose d’obliger les riches à faire, pour la plus grande part, les fonds de cette éducation commune.

Invinciblement, une question se serait posée : Pourquoi ne pas prolonger au delà de l’école, par des institutions multiples d’assurance, de coopération, de collaboration économique, cette égalité de fait réalisée dans la vie de l’enfance ? Pourquoi ne pas obliger la richesse à contribuer à toutes ces institutions ? Ainsi, le système d’éducation de Lepelletier, sans bouleverser par une action directe l’ordre économique bourgeois et la hiérarchie de la propriété, eût constitué cependant en plein régime d’inégalité un précédent d’égalité communiste dont les effets auraient rayonné peu à peu bien au delà