Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/671

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isolés sur la terre pourront se croire souverains ; mais au moment du contact, au premier signal des Droits de l’Homme, il n’y a plus qu’une volonté absolue dans le monde… Détrônons les fractions sociales.

« Mon aversion pour le morcellement du monde provient d’un problème dont la solution m’appartient. Je me suis demandé pourquoi les Italiens de Gênes et de Venise s’armaient et se battaient pour la moindre altercation, pendant que les Français de Marseille et de Bordeaux accommodaient leurs différends par une simple procédure. N’est-il pas évident que l’ignorance de la volonté universelle est la cause immédiate de toutes les guerres ? Deux familles indépendantes de la loi commune en viendront nécessairement aux mains pour la lisière d’un champ, le lit d’un ruisseau, la plantation d’un arbre, la construction d’un mur. Chacun étant juge et partie, il faut se battre à outrance malgré les inclinations les plus pacifiques. Le droit du plus fort, le droit de conquête, les commotions hostiles sont les conséquences funestes de l’oubli des Droits de l’Homme.

« … Une opinion trop généralement répandue en France, c’est de placer de petites républiques entre nous et les tyrans, pour éviter les horreurs de la guerre. Cette opinion tient aux vieilles idées aristocratiques de l’influence et de la protection ; c’est-à-dire que nous permettrons à ces républiques de faire tout ce qu’il nous convient ; malheur à elles si leur industrie contrarie la nôtre : nous serons jaloux de leur commerce, de leurs manufactures, de leurs pêcheries.

« Nos barrières les cerneront, la contrebande provoquera des rixes, nous aurons de part et d’autre des commis, des soldats, des citadelles, des camps, des garnisons, des escadres. Mais, dira-t-on, nos voisins libres auront pour nous un amour inaltérable : ils exerceront lucrativement leur industrie, en se reposant, pour leur défense, sur nos armes et nos forteresses et nos trésors. C’est-à-dire que leur industrie tuera la nôtre, car la main-d’œuvre ne sera pas chère dans un pays dont la dépense publique retombera en grande partie sur nous. Il faudra donc recourir au système prohibitif à moins de faire payer un tribut direct à nos chers et aimés voisins ; or, un peuple tributaire n’est pas libre. Il est donc démontré que ces républiques seraient moins libres que nos départements. Et notre bonheur matériel en souffrirait d’autant plus que les tyrans, les aristocrates se mêleraient de nos querelles, en appuyant, comme de raison, le plus faible contre le plus fort. Le commerce est la principale cause des dissensions humaines ; or, les républiques sont plus commerçantes que les royaumes. N’ayons pas de voisins si nous ne voulons pas avoir d’ennemis. Ennemi et voisin sont termes synonymes dans les langues anciennes. Un peuple est aristocrate à l’égard d’un autre peuple : les peuples sont nécessairement méchants, le genre humain est essentiellement bon, car son égoïsme despotique n’est en opposition avec aucun égoïsme étranger. La république du genre humain n’aura jamais dispute avec per-