Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/674

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montagne des sources et la plaine des embouchures, entre les pressoirs de l’huile et les mamelles de la génisse. Par exemple, les pacages de la Hollande et les guérets de la Beauce, et les graves de Bordeaux et les coteaux de la Provence ne sauraient s’isoler sans se faire un tort mutuel ; et comme toutes les rivières, les fleuves et les mers communiquent ensemble naturellement c’est à nous de multiplier ces communications par des chemins et des canaux et non pas de les interrompre par des constitutions, des frontières, des forteresses, des escadres. Imitons la nature si nous voulons être ses heureux enfants… Les prétendues barrières naturelles qui s’opposent à cette union désirable sont des barrières aussi fragiles que factices. Les Alpes et les Pyrénées, le Rhin et l’Océan, dans les siècles ténébreux n’ont pas été des barrières pour les Carthaginois et les Romains, pour les Grecs et les Scythes, pour les Celtes et les Normands ; et on nous répétera un adage que nos possessions dans les deux Indes réfutent tout aussi victorieusement que des armées d’Annibal et de César, de Charlemagne et de Charles-Quint. Nous recevons chaque jour sur la Seine qui coule dans le centre des climats, à égale distance du pôle et de la ligne, nous recevons, dis-je, des courriers et des avisos de Rome et de Dublin, de Lisbonne et de Pétersbourg, de Boston et de Batavia ; et l’on nous parle encore des barrières naturelles de la France !

« Nous voyons à Paris, à Londres, à Madrid, à Amsterdam plaider la cause d’un Persan, d’un Chinois, d’un Indien, d’un Péruvien, d’un Turc, d’un Cafre, d’un Arménien. On discute en Europe les intérêts des habitants des antipodes et l’on doutera si une assemblée représentative des deux hémisphères peut exister pour le bonheur permanent de l’humanité !Je ne connais de barrière naturelle qu’entre la terre et le firmament. »

Oui, et que l’évanouissement de la grande superstition de Dieu qui se brisait en superstitions discordantes et ennemies, laisse apparaître l’unité de la nature humaine, l’unité de la science et de la raison.

« Les réformateurs indiens, chinois, égyptiens, hébreux et chrétiens se sont étrangement abusés en prêchant les prétendus droits de Dieu. Ils ont dit que nous étions égaux devant Dieu et que la fraternité universelle découlait de la fraternité céleste. Cette erreur grave engendra le plus affreux despotisme sacerdotal et royal. Les chaînes s’appesantirent sous la main d’une foule de pères en Dieu qui furent sacrés, mitrés, couronnés au nom du Père Éternel. On ôta la souveraineté au genre humain pour en revêtir un prétendu souverain dans le ciel, dont les représentants sur terre étaient des rois, des empereurs, des papes, des lamas, des bonzes, des bramines et tant d’autres officiers ecclésiastiques et civils. L’erreur enfante des millions d’erreurs pendant que la vérité n’enfante que la vérité unique. De là l’harmonie d’une assemblée nationale universelle ; de là les schismes, les hostilités, les anathèmes des saints conciles œcuméniques. La raison qui guide les géomètres dans une seule et même route, malgré la distance des lieux, des temps, des langues et des cou-