Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/675

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tumes, dirigera tous les hommes vers un centre commun lorsque la représentation nationale sera ôtée aux puissances célestes, aux oints du Seigneur, lorsque le genre humain sera réintégré dans ses droits imprescriptibles.

« Les différentes espèces d’aristocratie sont des émanations d’une divinité imaginaire. J’ai prouvé dans différents écrits que Dieu n’existe point. Les hommes qui admettent cette chimère doivent se tromper non moins lourdement sur beaucoup d’autres objets ; et, à défaut de jugement, cette maladie morale est déplorable. Cela donne la clef de toutes les duperies dont les charlatans affligent l’humanité. Celui qui admet un Dieu raisonne mal, et ce mauvais raisonnement en produit d’autres. Ne soyez pas l’esclave du ciel si vous voulez être libre sur la terre. Il faut à la République de bons raisonneurs. Tel homme est feuillant par le même défaut mental qui le rend théiste. Je défie que vous connaissiez bien la nature de la sans-culotterie si vous admettez une nature divine ou plastique. Quiconque a la débilité de croire en Dieu ne saurait avoir la sagacité de connaître le genre humain, le souverain unique. Prenez les hommes un à un, vous gémirez sur leur ineptie ; prenez-les en masse et vous admirerez le génie de la nature. Nous sommes étonnés chaque jour des prodiges du peuple libre ; c’est que le peuple, la collection des individus, en sait plus qu’aucun individu en particulier, et quand ce peuple sera composé de la totalité des humains, on verra des prodiges bien plus étonnants. Les têtes faibles qui voudront un dieu en trouveront sur la terre, sans aller chercher je ne sais quel souverain à travers les nuages. Les croyants disent que le monde ne s’est pas fait lui-même et certainement ils ont raison ; mais Dieu non plus ne s’est pas fait lui-même, et vous n’en conclurez pas qu’il existe un être plus ancien que Dieu. Cette progression nous mènerait à la tortue des Indiens. La question sur l’existence de Dieu (Theos) est mal posée, car il faut savoir préalablement si le monde (cosmos) est un ouvrage. Demandez donc la question préalable, et vous passerez à l’ordre du jour dans le silence de vos adversaires stupéfaits.

« La comparaison de l’horloge et de l’horloger dont les théomanes éblouissent les simples, est un tour de gibecière morale que la réflexion peut apprécier à sa juste valeur. Voilà une montre, un palais, un obélisque, je ne vois rien de semblable dans le règne animal, ou végétal, ou minéral. Je ne retrouve pas ici les lois de la génération et de la végétation ; et, à défaut de la nature, j’ai recours à l’art, à la main de l’homme, pour expliquer l’existence de la montre, du palais et de l’obélisque. Je sais qu’un tableau, un poème, une tragédie ne croissent pas comme des champignons ; je sais que le peintre et le poète qui copient la nature agissent différemment que l’homme qui fait un enfant ; mais cette différence ne me fera pas adopter une similitude entre l’architecte de ma maison et le prétendu architecte de la nature. Évitons le cercle vicieux. Nous avons la manie des comparaisons ; cette manie a donné lieu à la chimère divine, comme si la nature, source féconde de toute comparaison,