Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/708

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Convention, c’est-à-dire en bravant et outrageant les citoyens et la Convention même.

« Tel est, depuis un an, le club des Jacobins de Paris ou des Jacobins d’aujourd’hui. Ce qu’on y trouve de plus notable après les héros de la Montagne, c’est un Desfieux, fameux banqueroutier, jadis apôtre de la royauté et aux gages de la liste civile, puis soufflant aux Jacobins des fureurs démagogiques et sanguinaires, enfin expédiant des courriers dans le Midi pour amener le sublime projet de faire passer le goût du pain aux députés de la Gironde ; c’est un Hassen-Fratz, ci-devant commis de Pache, l’un des principaux acteurs de la conspiration du 31 mai ; ce sont Terrasson et Roussillon, dignes membres du tribunal révolutionnaire, car ils ne parlent, dans les clubs, que de faire jouer leur guillotine : c’est enfin le zélé frère Boissel, le grand auteur du Catéchisme du genre humain, gros volume in-octavo, déjà à la deuxième édition, où il est démontré, par demandes et réponses, à tous les frères et sœurs de la jacobinerie, que Dieu, la propriété, le mariage sont les trois fléaux que tous les bons citoyens doivent s’efforcer de détruire afin d’être vraiment libres et heureux. »

Que Lanjuinais qui trace des Jacobins une caricature si grossière et qui venait, comme nous l’avons vu, de calomnier les opinions d’Hassenfratz au sujet de la propriété, ait cédé, à propos de Boissel, à son habituel système de jeter l’alarme : qu’il ait exagéré l’influence de Boissel aux Jacobins pour faire de son livre athée, communiste, l’Évangile de la Jacobinerie : c’est possible. Il reste vrai que Boissel jouait un assez grand rôle aux Jacobins ; il reste vrai que son livre n’était pas comme une sorte de péché de jeunesse révolutionnaire. Il ne le faisait pas disparaître, il ne le désavouait pas. Il continuait au contraire à le propager. Son livre n’est donc pas un paradoxe bizarre, je ne sais quelle débauche philosophique à la manière de quelques dialogues de Diderot, c’est un des éléments de la pensée révolutionnaire ; et si, dans quelques mois, Boissel est exclu des Jacobins sous l’influence de Robespierre, c’est sans doute parce que celui-ci veut rompre une solidarité importune. C’est une sorte de communisme hiérarchisé selon une échelle de capacité, et tout débordant de mysticisme panthéistique, que développe Boissel. Il me paraît l’ancêtre direct de Saint-Simon et d’Enfantin comme Lange est le précurseur de Fourier. « Quel est le moyen, pour moi, d’être heureux et sage ? — C’est d’apprendre et m’accoutumer de bonne heure à apprécier à leur juste valeur les possessions, les jouissances et les plaisirs de cette vie passagère qui ne sont rien dans l’immensité du temps et de l’espace ; c’est de n’en désirer et de n’en faire usage que pour le bonheur de mes semblables… c’est de me livrer avec le plus grand zèle et pour l’amour de mes semblables à tous les genres d’exercices, de fonctions et de travaux qui me seront commandés par ceux de mes semblables qui seront d’une classe supérieure à la mienne. — Faudra-t-il que l’éducation, les