Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/72

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lumière de l’esprit qui apaisait les haines. Il y a dans la splendeur de parole de Vergniaud je ne sais quoi de trouble, la brume d’une pensée inconsistante. Il ne dit pas au peuple de la Révolution : Frappe le roi ; il ne lui dit pas : Sauve-le ; il lui dit : Délibère, et ordonne un chaos que nous-mêmes nous ne savons pas débrouiller… Il offre au peuple tout son sang, parce qu’il n’a pas autre chose à lui offrir. Et le mélancolique appel à la mort est, comme l’appel au peuple, un moyen suprême d’ajournement et d’évasion.

Mais quel drame que ce procès, où les deux hommes, les deux chefs de Révolution, se heurtant à propos de la mort du roi, invoquent sur eux-mêmes l’ombre de la mort ! Et l’on se demande tout bas : Mais qui donc est en jugement ?

C’est le discours de Barère qui fixa les tragiques incertitudes de la Convention. Il fut merveilleusement habile dans le détail de l’argument. Il résuma avec force les crimes et les trahisons du roi, et il conclut à la mort, sans appel au peuple. C’est lui, je crois, qui détruisit le mieux le sophisme de l’inviolabilité royale. Oui, si le roi avait accepté loyalement et pratiqué la Constitution, et s’il avait ensuite commis une faute grave, il aurait été inviolable pour cette faute, car ayant créé entre la Constitution et lui un lien, il aurait été couvert par elle. Mais pas un moment il n’a voulu l’appliquer, pas un moment il n’a été lié à elle. Il ne peut l’invoquer maintenant contre le peuple. À la rigueur, il pouvait se servir de l’inviolabilité constitutionnelle pour résister aux pouvoirs constitués qui auraient voulu entreprendre sur lui. Il pouvait, par exemple, refuser de se laisser juger par la Législative qui, ayant été formée dans le cadre même de la Constitution, ne pouvait se substituer à elle, même pour la venger. Mais l’inviolabilité ne valait pas contre la Convention qui avait puisé son pouvoir à des sources beaucoup plus profondes que la Constitution désormais tarie, à la souveraineté populaire.

Et contre l’appel au peuple, Barère fit valoir, outre les raisons politiques déjà invoquées si fortement par Robespierre, un argument ingénieux et neuf. On peut soumettre à la ratification du peuple une loi, mais le procès du roi n’est pas une loi. On peut même lui soumettre un jugement, mais le procès du roi n’est pas un jugement, puisqu’aucune des formes judiciaires ne peut vraiment être observée. Le procès est en réalité « un acte de salut public, une mesure de sûreté générale ». Toutes les formes de discussion dont cet acte est enveloppé n’en modifient pas le caractère. Elles servent, au contraire, à lui donner toute son efficacité en ralliant le peuple, par la publicité des débats et la démonstration des crimes du roi, à la décision de salut national prise par la Convention. C’était concilier merveilleusement la thèse abrupte soutenue d’abord par Robespierre et Saint-Just avec l’ample procédure adoptée par la Convention. Mais un acte de salut public, une mesure de sûreté générale ne sont pas soumis à la ratification du peuple.

Dans tous les points du discours méthodique de Barère c’était même