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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/730

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et la hache ; flétrissez par l’infamie l’exercice de tous les métiers utiles ; déshonorez les arts et surtout l’agriculture ; que les hommes auxquels vous aurez accordé le titre de citoyens ne payent plus d’impôts ; que d’autres hommes auxquels vous refuserez ce titre, soient tributaires et fournissent à vos dépenses ; ayez des étrangers pour faire votre commerce, des ilotes pour cultiver vos terres, et faites dépendre votre subsistance de vos esclaves…

« Il est vrai que de nouvelles lois qui établissent l’égalité entre les citoyens consacrent l’inégalité des hommes… Il est vrai que les institutions de Lycurgue qui prouvent son génie en ce qu’il n’entreprit de les fonder que sur un territoire de très médiocre étendue, et pour un si petit nombre de citoyens que le plus fort recensement ne le porte pas au delà de dix mille, prouveraient la folie du législateur qui voudrait les faire adopter à vingt-quatre millions d’hommes ; il est vrai qu’un partage des terres et le nivellement des fortunes sont aussi impossibles en France que la destruction des arts et de l’industrie dont la culture et l’exercice tiennent au génie actif que ses habitants ont reçu de la nature ; il est vrai que l’entreprise seule d’une pareille révolution exciterait un soulèvement général ; que la guerre civile parcourrait toutes les parties de la République ; que tous nos moyens de défense contre d’insolents étrangers seraient bientôt évanouis ; que la plus terrible des niveleuses, la mort, planerait sur les villes et les campagnes. Je conçois que la ligue des tyrans puisse nous faire proposer, au moins indirectement par les agents qu’elle soudoie, un système d’où résulterait pour tous les Français la seule égalité du désespoir et des tombeaux, et la destruction totale de la République. »

Pas plus que la République française ne peut être niveleuse et spartiate, elle ne peut être conquérante. Elle ne peut être non plus exclusivement agricole et commerçante, car « comment un pareil peuple pourrait-il exister, environné de nations presque toujours en guerre et gouvernées par des tyrans qui ne connaissent d’autre droit que la force ? »

Non, l’organisation de la République française doit répondre à des nécessités diverses et aux particularités du génie national : elle doit être complexe, souple et animée comme la vie moderne de la France.

« Le législateur serait insensé qui dirait aux Français : « Vous avez des plaines fertiles, ne semez pas de graines ; des vignes excellentes, ne faites pas de vin. Votre terre, par l’abondance de ses productions et la variété de ses fruits, peut fournir et aux besoins et aux délices de la vie, gardez-vous de la cultiver. Vous avez des fleuves sur lesquels vos départements peuvent transporter leurs productions diverses et par d’heureux échanges établir dans toute la République l’équilibre des jouissances, gardez-vous de naviguer. Vous êtes nés industrieux, gardez-vous d’avoir des manufactures, L’Océan et la Méditerranée vous prêtent leurs flots pour établir une com-