Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/731

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munication fraternelle avec tous les peuples du monde, gardez-vous d’avoir des vaisseaux. »

« Il ne manquerait plus que d’ajouter à ce langage : « Dans vos climats tempérés, le soleil vous éclaire d’une lumière douce et bienfaisante, renoncez-y et, comme le malheureux Lapon, ensevelissez-vous six mois de l’année dans un souterrain. Vous avez du génie, efforcez-vous de ne pas penser ; dégradez l’ouvrage de la nature ; abjurez votre qualité d’hommes, et, pour courir après une perfection idéale, une vertu chimérique, rendez-vous semblables aux brutes. »

Si la constitution doit maintenir le corps social dans tous les avantages dont la nature l’a mis en possession, elle doit aussi, pour être durable, prévenir, par des règlements sages, la corruption qui résulterait infailliblement de la trop grande inégalité des fortunes ; mais, en même temps, sous peine de dissoudre le corps social lui-même, elle doit la protection la plus entière aux propriétés. Ce fut pour qu’ils les aidassent à conserver le champ qu’il avait cultivé, que l’homme se réunit d’abord à d’autres hommes auxquels il promit l’assistance de ses forces pour défendre aussi leur champ. Le maintien des propriétés est le premier objet de l’union sociale ; qu’elles ne soient pas respectées, la liberté elle-même disparaît ; vous rendez l’industrie tributaire de la sottise, l’activité de la paresse, l’économie de la dissipation, vous établissez sur l’homme laborieux, intelligent et économe, la triple tyrannie de l’ignorance, de l’oisiveté et de la débauche.

« Je conclus de ces simples propos que vous ne voulez faire des Français ni un peuple conquérant ; ni un peuple que l’on puisse asservir ; ni un peuple purement agricole ou commerçant ; ni un peuple purement militaire et avec des gardes prétoriennes qui disposent de la toute-puissance ; ni un peuple tellement ami de la guerre qu’il devienne l’effroi des autres nations ; ni un peuple tellement livré aux mollesses de la paix que, pareil aux Athéniens, il redoute plus les rois qui l’attaqueraient comme les ennemis de ses plaisirs que comme les ennemis de sa liberté ; ni un peuple qui se corrompe par le luxe, et que vous enivriez dans les festins de Lucullus ; ni un peuple qui s’avilisse par la misère, qui perde dans une orgueilleuse paresse les qualités brillantes de son esprit, et qu’au milieu des prodigalités de la nature vous nourrissiez avec le brouet de Lacédémone.

« Je pense que vous voulez profiter de sa sensibilité pour le porter aux vertus qui font la force des républiques ; de son activité laborieuse pour multiplier les sources de sa prospérité ; de sa position géographique pour agrandir son commerce ; de son amour pour l’égalité pour en faire l’ami de tous les peuples ; de sa force et de son courage pour lui donner une attitude qui contienne tous les tyrans ; de l’énergie de son caractère trempé dans l’orage de la Révolution pour l’exciter aux actions héroïques ; de son génie, enfin, pour lui faire enfanter ces chefs-d’œuvre des arts, ces inventions sublimes, ces