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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/741

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que par une circonscription de 50.000 âmes, c’était donner au pouvoir exécutif une force écrasante. C’était construire au peuple souverain « non un temple, mais un tombeau ». C’était livrer la nation à un patriciat d’hommes connus qui seuls pourraient affronter un scrutin aussi vaste. C’était bientôt ériger une oligarchie de dirigeants en interprète de la volonté nationale.

La Convention, sur ces trois points, remanie à fond le projet girondin. Elle laisse subsister la vie fourmillante et révolutionnaire des petites communes. Elle réserve pour le choix des représentants le suffrage universel direct, et elle confie à des assemblées électorales, élues par les assemblées primaires, le soin de choisir les administrateurs, les arbitres publics, les juges criminels et de cassation. Ainsi, pour les fonctionnaires de la Révolution le scrutin sera à deux degrés. Il sera à trois degrés pour les ministres. Ce ne sont plus les assemblées primaires qui les désigneront : bien mieux, les assemblées électorales ne pourront pas non plus les désigner ; mais chaque assemblée électorale de département proposera un candidat, et c’est sur cette liste que le corps législatif choisira les vingt-quatre membres qui composeront le Conseil exécutif.

Par là, la Convention prévenait la rivalité redoutable du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif. J’imagine, en outre, que ce mode de nomination paraissait à la Montagne beaucoup moins favorable que l’autre aux Girondins et à leurs amis. La Gironde avait beaucoup d’éclat. C’est d’elle que Saint-Just dira bientôt : « La Révolution a créé un patriciat de renommées ».

Le scrutin national eût peut-être investi du pouvoir les grandes renommées oratoires, scientifiques, littéraires. Au contraire, la Convention, faisant le choix définitif sur une assez longue liste, écartera les noms des hommes qui pourraient par orgueil, par prestige de gloire, fausser la volonté nationale. Et ce choix, elle le fera sous l’action non de la violence mais de l’opinion parisienne. C’est au centre, c’est dans la capitale que se faisait, dans le nouveau projet, le choix des ministres. Dans le plan de Condorcet, le pouvoir exécutif était d’origine et d’essence départementale.

Enfin, si un article proclame que « les assemblées primaires délibèrent sur les lois », cette délibération n’a aucune sanction : la procédure du referendum n’est nulle part organisée et prévue. Mais avec cette périodicité si courte d’assemblées élues pour un an, n’y a-t-il pas en somme un référendum permanent ? Ainsi, la Montagne donne à l’action de la démocratie plus de vigueur, plus de nerf. Elle la débarrasse de la bouffissure qui alourdissait et noyait le projet girondin. Et elle sauvegarde le peuple contre la formation d’une oligarchie ministérielle, d’une caste gouvernementale qui pour être élective n’en serait pas moins pesante à la liberté. Mais la Convention, à peine débarrassée de la Gironde, va-t-elle introduire dans la Déclaration des Droits les définitions de la propriété et les formules sociales que, quelques semaines avant, Robespierre et les Jacobins proposaient ? Non, la Montagne ne veut ni