Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/740

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canisme électoral et législatif au risque de resserrer, en apparence, le large système de démocratie politique proposé par la Gironde.

Condorcet mettait constamment en jeu la souveraineté directe de la nation. Toutes les élections devaient se faire au suffrage universel direct : il n’y avait plus d’élection au second degré, plus d’assemblées électorales. Ce sont les assemblées primaires qui nommaient directement tous ceux qui étaient appelés ou à représenter le souverain, ou à administrer en son nom. Elles nommaient les municipalités, les administrateurs des départements, les députés ; c’étaient les assemblées primaires aussi qui nommaient les juges. Bien mieux, elles nommaient les ministres, le Conseil exécutif, par un mécanisme d’ailleurs assez compliqué. Les assemblées primaires dans chaque département formaient une liste de présentation de treize noms. Ces listes étaient centralisées par le corps législatif qui dressait, d’après le relevé des suffrages, une liste unique de présentation sur laquelle les assemblées primaires faisaient ensuite un choix définitif.

Ainsi, les municipalités étaient désignées par les assemblées primaires de chaque commune ; les administrateurs du département par les assemblées primaires de chaque département ; et les ministres par les assemblées primaires de toute la France, le département n’étant alors qu’une section de vote. Les députés étaient élus par canton de 50000 habitants, la population étant ainsi la seule base de la représentation. Les députés ne formaient qu’une Chambre ; ils n’étaient élus que pour un an, et toutes les décisions du pouvoir législatif étaient perpétuellement soumises au contrôle de la nation ; les assemblées primaires de deux départements suffisent à obliger le corps législatif à soumettre au référendum populaire telle ou telle loi, tel ou tel décret.

C’est « la censure du peuple sur les actes de la représentation nationale » et théoriquement, il semble que c’est la démocratie illimitée. À ce système, les Montagnards faisaient trois objections essentielles. D’abord en constituant de grandes communes où seraient fondues et absorbées beaucoup de petites communes (quatorze mille communes allaient disparaître), il bouleversait cette vie municipale révolutionnaire qui, par son morcellement même, avait mis en jeu la spontanéité des individus et prévenu l’action modérée et fédéraliste des administrations intermédiaires de district ou de département. En second lieu, il énervait la volonté populaire en affectant d’y recourir exclusivement. Le peuple surmené se détournerait bientôt de son propre droit et laisserait l’exercice réel de la souveraineté à quelques intrigants s’il était obligé de passer sa vie dans les assemblées primaires, et quelle est la loi qui pourrait aboutir à travers toutes ces complications ? C’était organiser le veto de la souveraineté nationale sur elle-même. Enfin, et Saint-Just avait, avant le 31 mai, présenté cette objection avec une grande force, faire nommer les ministres par toute la nation alors que chaque député ne serait nommé