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Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/752

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tion à la Convention. Il se heurta, le 23 juin, à Robespierre qui demanda l’ajournement : « C’est aujourd’hui, dit celui-ci, un jour de concorde et de fête, où tous les bons citoyens viennent nous féliciter d’avoir donné une Constitution libre au peuple : chassons ceux qui veulent diviser les patriotes. » C’est l’indice de la force du mouvement représenté par Jacques Roux. Comment Robespierre aurait-il pris toutes ces précautions contre une manifestation insignifiante ?

Le 25, Jacques Roux peut parler et son discours est un véritable manifeste où il discute, expose, argumente, et dont le compte rendu du Moniteur ne peut donner qu’une faible idée :

« Délégués du peuple français, cent fois cette enceinte sacrée a retenti des crimes des égoïstes et des fripons ; toujours, vous nous avez promis de frapper les sangsues du peuple. L’acte constitutionnel va être présenté à la sanction du souverain : y avez-vous proscrit l’agiotage ? Non. Avez-vous déterminé en quoi consiste la liberté du commerce ? Non. Avez-vous défendu la vente de l’argent monnayé ? Non. Eh bien ! nous vous déclarons que vous n’avez pas tout fait pour le bonheur du peuple.

« La liberté n’est qu’un vain fantôme, quand une classe d’hommes peut affamer l’autre impunément. L’égalité n’est qu’un vain fantôme, quand le riche, par le monopole, exerce le droit de vie et de mort sur son semblable. La république n’est qu’un vain fantôme, quand la contre-révolution s’opère de jour en jour par le prix des denrées, auquel les trois quarts des citoyens ne peuvent atteindre sans verser des larmes.

« Il faut cependant, pour attacher les sans-culottes à la Révolution et à la Constitution, arrêter le brigandage du négoce (qu’il faut bien distinguer du commerce) et mettre les comestibles à leur portée.

« Ce n’est pas une raison parce que les hommes d’État nous ont amené la guerre étrangère, pour que le riche nous fasse une plus terrible guerre au dedans. Parce que trois cent mille Français, traîtreusement sacrifiés, ont péri sous le fer homicide des esclaves des rois, faut-il donc que ceux qui gardent leurs foyers soient réduits à dévorer des cailloux ? Faut-il que les veuves de ceux qui sont morts pour la cause de la liberté paient, au poids de l’or, jusqu’au coton dont elles ont besoin pour essuyer leurs larmes ? Faut-il qu’elles paient, au poids de l’or, le lait et le miel qui servent de nourriture à leurs enfants ?

« Mandataires du peuple, lorsque vous aviez dans votre sein les complices de Dumouriez, les représentants de la Vendée, les royalistes qui ont voulu sauver le tyran, la section des Gravilliers suspendit son jugement, elle s’aperçut qu’il n’était pas au pouvoir de la Montagne de faire le bien qu’elle avait dans son cœur : elle se leva.

« Mais aujourd’hui la Convention est rendue à sa dignité : nous vous conjurons, au nom du salut de la République, de frapper d’un anathème constitutionnel l’agiotage et les accaparements.