Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/758

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dénoncer telle ou telle manœuvre mercantile : c’était alors la chasse aux marchands, la menace et le meurtre devenus le fondement de l’économie nationale.

Et pourquoi demander que les dispositions contre l’accaparement et les lois sur les subsistances soient inscrites dans la Constitution ? La Constitution assure le fonctionnement permanent de la société : elle ne pourvoit pas aux nécessités temporaires : c’est l’affaire des lois. La crise des prix n’était pas éternelle. Jacques Roux demandait trop ou trop peu. Il fallait ou consentir à ce que la question des subsistances fût réglée par une loi particulière, en dehors de la Constitution, ou demander une organisation nouvelle de l’industrie sur des bases permanentes. Il ne le faisait pas. Quand il se plaint qu’on laisse royalistes et modérés dévorer les manufactures, quel moyen propose-t-il ? quel plan apporte-t-il ? Demande-t-il qu’elles deviennent propriétés nationales ? Si on devait ensuite les revendre comme les biens de l’Église et les biens des émigrés, qui ne voit que les capitalistes soi-disant révolutionnaires qui les achèteraient ne tarderaient pas à devenir, à leur tour, des monopoleurs ? Alors, il n’y aurait qu’une solution : organiser la régie nationale de ces manufactures nationalisées, transformer la grande industrie manufacturière en services publics. Est-ce là ce que veut Jacques Roux ? Jamais il ne le dit. Jamais il n’y a songé, et il est visible, par son discours même et par les passages que j’ai signalés, qu’il est beaucoup moins l’interprète de la pensée des ouvriers que des rancunes, des jalousies, des souffrances et des craintes de la petite bourgeoisie artisane et rentière, qui répugnait à tout ce que nous appelons aujourd’hui le collectivisme.

Valait-il donc la peine, pour des conceptions aussi étroites, aussi mesquines, aussi malaisées d’ailleurs à formuler avec quelque précision, de jeter le discrédit sur une Constitution qui était le point de ralliement nécessaire des forces de la Révolution ? Valait-il la peine de jeter le discrédit sur la Convention et sur la Révolution elle-même ? Après tout, la Convention avait déjà voté une loi contre le commerce de l’argent et contre ceux qui échangeaient à perte les assignats. Elle avait voté, à propos des grains, une première application du maximum ; et elle se décidera, sous le coup des événements, à aller plus loin.

Pourquoi insinuer qu’elle n’a rien fait pour le peuple et qu’elle subit l’influence d’armateurs, de monopoleurs, d’agioteurs assis parmi les députés ? Les artisans exaltés des Gravilliers suffiraient-ils donc, le jour où ils auraient amené la dissolution morale et politique de la Convention, à porter le destin de la Révolution menacée ? et la Convention de petits bourgeois révolutionnaires, jalouse et inquisitoriale, qu’ils formeraient serait-elle de taille à remplacer l’autre ? Oui, les contre-révolutionnaires ont le droit de se réjouir quand Jacques Roux dénonce au peuple la Révolution comme une grande faillite et comme une grande duperie qui n’a profité qu’aux riches. Qu’il