Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/759

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anime et excite la Convention, mais qu’il ne la calomnie pas ! Qu’il enhardisse et élargisse la Révolution ; qu’il montre, selon l’esprit du grand Babeuf, selon sa lettre à Coupé, que la Révolution ne peut s’affermir et se sauver que par de grandes réformes sociales et économiques, mais qu’il n’inocule pas aux prolétaires ce dégoût, cette défiance haineuse qui supprimeraient toute action et tout combat !

Chassé de la Convention, Jacques Roux essaya de prendre sa revanche. C’est devant le club des Cordeliers qu’il fit appel, dans la séance du 27 juin :

« Le croiriez-vous ? les représentants m’ont fait boire à longs traits le calice d’amertume. Léonard Bourdon lui-même m’a reproché que j’étais un prêtre mercenaire qui flattait le peuple en l’égarant. Legendre a dit qu’il fallait me chasser ; Collot d’Herbois m’a assommé de ses réponses injurieuses ; tout était conjuré contre moi, ou plutôt contre la liberté. Ceux qui m’avaient accompagné à la barre de la Convention m’ont laissé seul, et ont démenti l’adresse ; quand j’ai dit que j’exprimais le vœu de la société des Cordeliers, Legendre m’a démenti en votre nom. « Je connais, a-t-il dit, les principes de cette société : l’orateur vous en impose ; il a mendié l’adhésion de plusieurs sections qu’il a égarées. » Voilà la conduite de Legendre. Les papiers publiés ont fait trop de récits de cette adresse pour qu’elle ne mérite pas toute l’attention de la société : je crois avoir d’autant mieux parlé le langage du peuple, que toutes les tribunes de la Convention retentissaient d’applaudissements, tandis que la Montagne grondait et mugissait. »

Un moment, sous l’action de Jacques Roux et de Leclerc, les Cordeliers s’emportent aux résolutions extrêmes. Ils vont rayer sans l’entendre Legendre, proclamant ainsi la rupture avec la Montagne et les Jacobins. Momoro, qui avait le sens de l’unité révolutionnaire, les avertit du péril. « Mes amis, dit un autre, ouvrons donc les yeux ; nous n’avons point de ralliement que la Montagne, et nous sommes écrasés si elle nous manque. »

Les Cordeliers décidèrent d’entendre Legendre avant de l’exécuter. Mais ils donnèrent leur approbation entière, officielle, à la pétition que Jacques Roux avait lue à la Convention ; ils l’autorisèrent à l’imprimer, à l’afficher, à la répandre avec le vote d’adhésion des Cordeliers. C’était la lutte de quelques sections de Paris contre la Convention. C’était le conflit entre les Jacobins et les Cordeliers, entre les Enragés et la Montagne. C’était la désorganisation des forces révolutionnaires à l’heure même où elles avaient le plus besoin de se concentrer. Robespierre fit un effort immense pour prévenir cette sorte de schisme et pour accabler Jacques Roux. Celui-ci ne l’avait pas personnellement attaqué. Il n’avait parlé que de Legendre et de Léonard Bourdon. Leclerc n’avait mis en cause que Danton. Les Enragés hésitaient à se heurter à la force intacte de Robespierre, mais celui-ci se jeta dans la bataille sans ménagement. Au fond, quoique nul ne prononçât son nom, c’était lui surtout qui était visé, car c’était lui qui avait recommandé aux Jacobins et au peuple, en juin, une