Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/772

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chef de parti. C’est lui, après tout, qui avait le plus excité les colères brissotines et girondines. « L’infâme tripot des Douze » n’avait pas arrêté Danton ou Robespierre, il n’avait même pas arrêté Marat. Il avait mis la main sur Hébert ; et c’est cet acte de violence contre le meilleur défenseur des sans-culottes, contre celui qui s’était fait, dans la presse, « le tape-dur » de l’aristocratie, qui avait provoqué l’insurrection victorieuse du 31 mai et du 2 juin.

Comment accroître, et rapidement, son influence ? Comment jeter sur ses rivaux plus éclatants, sur ceux qui dominent ou à la Convention ou au Comité de Salut public, ou aux Jacobins, un commencement de défaveur ? Il allait d’abord exaspérer dans le peuple souffrant l’appétit de vengeance. La vie devenait dure : il n’y avait ni famine, ni misère extrême ; mais les approvisionnements étaient stricts, la distribution était difficile et lente : les femmes, les hommes mêmes perdaient des heures à faire queue à la porte du boulanger et du boucher ; la hausse des salaires ne répondait pas toujours exactement à la hausse des denrées : d’où venait ce malaise ? d’où venait cette inquiétude ? Des infâmes aristocrates coalisés avec l’étranger, des infâmes Girondins coalisés maintenant avec les aristocrates. Et dans les groupes les colères s’allumaient. Ce n’était plus le généreux élan de 1790, la magnifique colère de 1792 : c’était parfois une fureur grandiose et âpre, parfois aussi le besoin bestial et vil de soulager sa propre souffrance en faisant souffrir. Insulter, tuer, mêler la dérision à la mort, exploiter jusqu’au dernier souffle, jusqu’au dernier regard des traîtres attendus par la guillotine, pour leur faire respirer l’outrage, pour leur donner d’avance, en caricature de gestes et de paroles, le spectacle de leur propre supplice, et une vision grotesque et lugubre d’échafaud : ce fut là, hélas ! pour une grande partie de la foule, la tentation des heures mauvaises. Tuer n’est rien : il faut abaisser, il faut flétrir ; plus ils furent éclatants, plus il faut ravaler même leurs souffrances : il faut faire de leur agonie une humiliation et une farce, les empêcher eux-mêmes, sous les éclats d’une gaité féroce, de prendre leur propre supplice au sérieux, et éteindre dans l’âme des vaincus la fierté secrète qui aide à soutenir la mort.

Or, Hébert s’offrit à être le virtuose de ces heures méchantes et troubles, il s’offrit à flatter, dans les cœurs ulcérés, la volupté du sang, à faire de toute vie attendue par le bourreau un misérable haillon que le peuple secouait à sa fenêtre parmi ses guenilles de misère. Antoinette est au Temple, tous les jours plus étroitement gardée, et ceux qui la surveillent sont obligés d’aller s’excuser devant le Conseil de la Commune s’ils lui ont parlé le chapeau à la main. Écoutez le Père Duchesne :

« La tigresse autrichienne était regardée, dans toutes les cours, comme la plus misérable prostituée de France. On l’accusait hautement de se vautrer dans la fange avec des valets, et on était embarrassé de distinguer