Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/773

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quel était le goujat qui avait fabriqué les avortons éclopés, bossus, gangrenés, sortis de son ventre ridé à triple étage. »

Mme Roland est à l’Abbaye, tragiquement disputée entre le désir de vivre et la peur, si elle vit, d’être vaincue par l’amour qu’elle porte au cœur. Le Père Duchesne régale le peuple d’une fiction plaisante. Il assure qu’il est allé voir à l’Abbaye « Mme Coco » et « sa face plâtrée ». Il était déguisé en chef vendéen ; oh ! comme elle a été bonne pour lui :

« C’est le général de l’armée chrétienne, m’écriai-je ; ou, comme on dit à Paris, le chef des brigands ; à ce mot, la citoyenne Coco laisse échapper un gros soupir, elle lance sur moi un regard tendre, tel qu’une Chatte amoureuse à un vieux matou qui vient miauler autour d’elle. »

Elle lui avoue que ses amis et elle ne comptent plus que sur la Vendée et l’Angleterre. Alors le père Duchesne, se démasquant soudain, lui crie l’injure à pleine gueule :

« Oui, foutre, tu l’as dit, vieux sac à contre-révolution. Reconnais le père Duchesne ; je t’ai laissé défiler ton chapelet pour te connaître. Le pot aux roses est découvert ; tous tes projets s’en vont à vau-l’eau. Non, les Français ne se battront pas pour un crâne pelé comme celui de ton vieux cocu et pour une salope édentée de ton espèce. Tous les départements vont être débrissotés et dérolandisés. La Constitution s’achève, et tous les bons citoyens vont se réunir à Paris pour jurer de la défendre. Pleure tes crimes, vieille guenon, en attendant que tu les expies sur l’échafaud, foutre. »

Les crieurs du journal insistaient sous les fenêtres de l’Abbaye, vociférant le titre et ajoutant eux-mêmes de leur fonds et de leur verve aux joyeux propos du maître. De son cachot, Mme Roland entendait, et elle l’a noté dans ses Mémoires. C’était une force pour Hébert de pouvoir écrire ces choses. Ce blond jeune homme aux yeux bleus, au fade visage sans âme, pouvait aller haut.

Sa tactique va être simple : il s’applique à discréditer Danton que ses relations avec Dumouriez et son hésitation ont diminué. Il s’applique à dépasser Robespierre. Tout ce que perdront d’autorité les chefs de la Révolution, la Convention et le Comité de salut public, la Commune le gagnera : elle est déjà forte par le ministère de la guerre. Là, avec les six cents employés en bonnet rouge qui sont dévoués à la faction extrême des Cordeliers, elle a comme une forteresse. Les officiers nobles éveillent tous les jours plus de méfiance : qu’on les remplace tous. C’est le ministère de la guerre dominé par la Commune, c’est donc la Commune elle-même qui nommera à tous les emplois dans l’armée, et qui tiendra l’armée de la Révolution. Il ne faut pas que le Comité de Salut public, où dominent aujourd’hui Danton et Barère, où bientôt dominera Robespierre, prétende substi-