Aller au contenu

Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/818

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

que le dénonciateur Delaunay était lui-même un agioteur misérable qui cherchait à faire baisser les actions de la Compagnie pour pêcher une fortune en un coup de filet.

La loi contre l’accaparement était terrible : contre quiconque dérogeait à ses dispositions, c’était la confiscation et la mort, et le dénonciateur recevait un tiers des marchandises confisquées. Et il suffit de lire le bulletin du tribunal révolutionnaire pour constater qu’elle fut appliquée. Elle a sans doute été utile. En ces jours tragiques où la France était comme en état de siège, et où il aurait suffi que le resserrement des marchandises fût tenté en effet par quelques spéculateurs audacieux pour que la rareté se transformât en détresse et aboutît à la famine, cette immense publicité commerciale et cette circulation forcée des produits ont peut-être prévenu des désastres.

Mais la loi ne remédiait pas à la crise des prix. La hausse des denrées tenait peut-être pour une part à leur rareté, mais elle tenait surtout à la baisse énorme, au discrédit toujours croissant de l’assignat. Le 3 août, dans un rapport merveilleux de lucidité, d’ingéniosité et d’élégance « sur l’agiotage et le change », Fabre d’Églantine donne quelques exemples de cette prodigieuse baisse de l’assignat :

« Je définis le change : la différence qui se trouve, par l’influence de l’opinion, entre la livre assignat et la livre métallique, autrement dit la livre en numéraire.

« Plus les agioteurs font baisser le change, plus il faut de livres assignats pour représenter une livre en numéraire. À l’époque du 31 mai et 2 juin, par exemple, pour représenter vingt sous métalliques de notre monnaie, il fallait cinquante sous assignats, et par conséquent soixante livres assignats pour un louis en or ; aujourd’hui, et depuis près d’un mois, il faut six francs en assignats pour représenter vingt sous en numéraire, et près de cent quarante-quatre livres assignats pour représenter un louis d’or. Vous comprenez facilement, citoyens, que cette différence dans le change est la véritable cause du surhaussement des denrées ; car le fabricant, et par suite le marchand, qui ne veulent jamais perdre et qui veulent, au contraire, toujours gagner, suivent le cours du change, calculent toujours sur la livre en numéraire, et pour retirer vingt sous métalliques d’une chose, ils ont vendu cette chose cinquante sous à l’époque du 2 juin, et ils la vendent aujourd’hui six francs assignats. »

L’assignat vaut dans le commencement d’août six fois moins que la monnaie de métal ; et quoique la disproportion des valeurs ne soit pas la même entre l’assignat et les denrées, cependant celles-ci doivent hausser formidablement. Quelles sont les causes de cette baisse de l’assignat ? Il en est deux essentielles, la surabondance des assignats émis en trop grande quantité et le peu de confiance qu’une partie de la France et la presque totalité du monde ont dans la victoire de la Révolution.