Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/82

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

riez, en haine et par peur des Montagnards, semble avoir désiré dés lors qu’ils soient affaiblis par un échec dans le procès du roi, voilà la force révolutionnaire de Danton prisonnière de l’intrigue. Le voilà lié, avec la Gironde, à un système de modérantisme dont Dumouriez serait prêt à serrer le nœud.

Dumouriez, enivré par ses victoires, fatigué et irrité du contrôle que prétendaient exercer sur lui les Comités de la Convention, exaspéré par ses conflits avec Cambon au sujet des fournitures de l’armée, des modes d’achat et de paiement, effrayé aussi par les attaques de Marat, qui lui reprochait une discipline trop dure, et dénonçait déjà, au risque de la provoquer, sa trahison, Dumouriez cherchait à jouer un jeu tout personnel et à s’assurer contre les chances de l’avenir : il pratiquait à l’égard des Belges une politique de ménagements, conservatrice, tout à fait contraire à l’esprit du décret révolutionnaire du 15 décembre. Et il songeait sans doute dès lors à intervenir dans la lutte des partis, avec le prestige de la victoire et la force de l’armée, si sa sécurité était menacée, ou si son ambition était arrêtée.

Mais il n’avait encore à coup sûr que des desseins très obscurs et très flottants. Et je crois bien qu’il n’en avait rien laissé paraître à Danton, et que celui-ci ne le soupçonnait nullement à cette date. Dumouriez, quittant son armée une seconde fois, était arrivé à Paris le 1er janvier 1793. Il y resta jusqu’au 26, explorant le terrain, interrogeant les hommes et les choses, sollicité entre des intrigues diverses. Il raconte dans ses Mémoires qu’il essaya, par des combinaisons discrètes et de prudentes interventions, de sauver le roi. La véracité de ces Mémoires est plus que suspecte. Ils ont été écrits quand Dumouriez était passé à l’ennemi, quand, détesté et flétri par la France révolutionnaire, il n’avait plus d’autre ressource que de flatter les émigrés, les princes et les puissances étrangères en leur persuadant qu’il avait multiplié les efforts pour le salut de Louis XVI. Il met même une sorte de coquetterie un peu lourde et d’habileté maladroite à dire qu’il fut malade du 18 janvier au 22 : « Le 18, la santé du général Dumouriez, quoique très robuste, fut vaincue par le chagrin ; la fièvre le prit et il fut contraint de rester à la campagne d’où il n’est sorti que le 22. » C’est d’un charlatanisme un peu grossier.

Quelles propositions fit-il, ou quels conseils donna-t-il aux Girondins ? Il est certain qu’il vit plusieurs d’entre eux, et notamment Gensonné avec lequel il était lié depuis la fin de 1791. « Il avait toujours été lié avec Gensonné, député de la Gironde, il lui avait pardonné les démarches qu’il avait faites contre lui l’année précédente, lorsqu’il avait quitté le ministère. Il lui avait connu jusqu’alors de l’esprit, un jugement sain et un cœur sensible ; il avait renoué ses liaisons avec lui. Il lui déclara toutes ses craintes sur le sort du roi, toute l’horreur qu’il ressentait du crime dont on allait souiller la nation : il lui fit sentir que cet affreux triomphe des Jacobins achèverait d’écraser le parti des honnêtes gens, et de rendre incurable l’anarchie